<116>Une chaleur ardente à l'instant les brûlait,
L'haleine leur manquait, la soif les accablait,
Ils buvaient, mais hélas! nos fleuves, dans leurs courses,
Sans éteindre leur soif, auraient tari leurs sources;
Pareils à la fournaise où l'on verse de l'eau,
Leurs entrailles sentaient accroître un feu nouveau,
Leurs yeux étincelaient, leur gorge était aride,
Leur langue desséchée et leur couleur livide.
L'un vers l'autre en tremblant ils étendaient les bras,
Ils portaient sur leur front l'arrêt de leur trépas;
Ces cadavres vivants, dans des douleurs affreuses,
Sentaient couvrir leurs corps de taches venimeuses,
De ces charbons crevés sortait un poison noir,
Ils mouraient dans les cris et dans le désespoir.
O temps infortunés! ô temps vraiment funestes!
Il n'était plus alors de Nisus ni d'Orestes,
Les nœuds de l'amitié, ceux de la parenté,
Rien ne pouvait lier le peuple épouvanté.
Faut-il le rapporter? ô comble de nos crimes!
On fuyait lâchement ces plaintives victimes
Qui sentaient les fureurs de la contagion;
On les laissait mourir sans consolation.
La faim à tant de maux vint joindre sa souffrance,
Alors de tous les cœurs disparut l'espérance.
Peignez-vous, s'il se peut, les horreurs de ces temps :
Les places, les maisons pleines de nos mourants;
Là, le frère expirant sur le corps de son frère,
Le cadavre du fils couvrant celui du père;
Là, les tristes sanglots et les cris douloureux
Des lamentables voix qui s'élevaient aux cieux.
Voyez ce tendre enfant qui tette à la mamelle :
Il prend sans le savoir une boisson mortelle,
Sa mère défaillante et manquant de secours
Veut même en expirant lui prolonger ses jours.
Figurez-vous ces morts privés de sépulture,
Et représentez-vous l'odeur infecte, impure,
Qu'exhalaient dans les airs tant de corps empestés,