<120>Nous entraîna tous deux vers la foule bruyante :
Les fous sont pour un sage une leçon puissante.
Nous pénétrons ces flots l'un par l'autre pressés,
Se heurtant, se fuyant, poussés et repoussés,
Et, portés par la foule au fort de la mêlée,
Nous voilà des secrets de l'absurde assemblée.
Un jeune fou disait, parlant vite et très-haut :
« Puisse-t-il plaire au ciel d'allumer au plus tôt,
Qu'importe au sud, au nord, en quel lieu de la terre,
Pour exaucer mes vœux, une sanglante guerre!
On connaîtrait alors le prix que nous valons;
Loin de nous consommer, ainsi que nous faisons,
Dans les honneurs obscurs des grades subalternes,
On connaîtrait en nous des Eugènes modernes. »
Deux jeunes officiers se parlaient sur ce ton;
Un poil follet à peine ombrageait leur menton.
Au même instant arrive une foule nouvelle
Dont l'épais tourbillon nous entraîne avec elle;
Vingt personnes au moins, croyant se réjouir,
Se parlaient à la fois, sans penser, sans ouïr.
Ce flux impétueux qui vient et nous inonde
Se dissipe à l'instant et se perd comme l'onde;
Tout change, et nos voisins sont d'autres inconnus,
Alors tout fraîchement dans la foule venus.
Un squelette ambulant me passe et me coudoie,
Disant à son ami : « Dieu, que j'aurais de joie,
Si le ciel bienfaisant, renouvelant ses dons,
Daignait me départir deux vigoureux poumons!
Un siècle tout au moins j'aurais dessein de vivre. »
La toux, en l'étouffant, l'empêcha de poursuivre.
Bientôt d'autres passants s'approchèrent de nous :
Un personnage âgé se distinguait d'eux tous,
Il disait d'un ton sec à l'un de ses confrères :
« Il vous plaît de louer l'ordre de mes affaires,
Mais ne présumez pas que je me trouve heureux,
Tant que les dieux cruels n'exaucent pas mes vœux.