<151>Ne devoir qu'à vos soins sa haute destinée,
Vous le dirai-je ici? l'oserai-je, ma sœur?
C'est sa prospérité qui fait tout mon malheur.
Ah! si j'ai pu chanter votre gloire future,
Je sens en même temps murmurer la nature;
Amitié, don du ciel, sacrés liens du sang!
Si nous devons tous deux nos jours au même flanc,
Parlez enfin, parlez, sentiments d'un cœur tendre,
Rendez compte des pleurs que vous a fait répandre
Ce départ douloureux, cet adieu si touchant.
Accablé de chagrins dans cet affreux moment,
Je vous quittai, ma sœur, m'arrachant à vos charmes;
Que ce triste congé fut arrosé de larmes!
Ce jour pour mon repos fut un fatal écueil,
Ma douleur à jamais en fait un jour de deuil;
Un éternel adieu, ma sœur, quel sort barbare!
Triste nécessité! devoir qui nous sépare!
Fallait-il à mon peuple immoler mon bonheur?
Heureux sont les mortels qui, loin de la grandeur,
Réunissent en paix leur tranquille famille,
Dont un toit peut couvrir, et mère, et fils, et fille!
Satisfaits de leur sort dans leur obscurité,
Le bonheur est le prix de leur simplicité;
Ils ne redoutent point la fortune bizarre,
Et l'abîme des mers jamais ne les sépare;
Les brigues, les complots que forme l'étranger
Amusent leur loisir, loin de les affliger :
Mais surtout, et c'est là ce qui me désespère,
C'est chez eux que la sœur peut vivre auprès du frère.
Quels écarts insensés! où vais-je m'égarer?
Aimons sans intérêt, et sachons préférer
Le bien de nos amis à notre bonheur même.
Je vois sur votre front poser le diadème;
Si la Suède connaît le prix de nos bienfaits,
Ne souillons pas nos dons par d'impuissants regrets,
Étouffons nos soupirs et supprimons nos larmes.