<164>Ces masses ne sont pas de ces vains ornements
Que la profusion ajoute aux bâtiments;
Mais leur commun concours, leur force réunie
Soutient solidement la façade embellie.
Notre grand édifice est la société,
Tout citoyen concourt à son utilité,
L'embellir n'est pas tout, et, pour le dire encore,
La bonté la soutient, le faste la décore.
O puissante nature! âme de l'univers!
Souffre que tes secrets éclatent dans mes vers.
Ménagère ou prodigue, on te voit toujours sage,
Ton dessein permanent mène tout à l'usage.
Voyez ces réservoirs qui, pour ses grands desseins,
Aux entrailles des monts sont creusés par ses mains;
Les fleuves orgueilleux en ont tiré leur source,
D'un humide cristal ils fournissent la course;
En fuyant de leur sein, jeunes, faibles ruisseaux,
Ils arrosent les prés de leurs fécondes eaux;
Mais bientôt, agrandis, enflés d'eaux passagères,
Ils portent leur tribut à des mers étrangères,
D'où le soleil, après, les changeant en vapeurs,
Goutte à goutte, en pleuvant, les rend sur les hauteurs;
Ce n'est point pour croupir que les monts les amassent,
Par ces mêmes canaux leur sorta veut qu'ils repassent.
Et tels sont les devoirs attachés aux honneurs.
Des dons de la fortune heureux dispensateurs,
Les grands pour les États sont la source féconde
Qui porte l'abondance et le bonheur au monde.
Que j'aime ce discours qu'un sage magistrat 19
Tint au peuple romain séparé du sénat!
Autour du Mont Sacré triomphait la discorde,
Son éloquente voix rétablit la concorde.
« La république, amis, leur dit-il, est le corps
Dont tous les citoyens sont autant de ressorts;
Un seul membre perclus peut troubler l'harmonie


19 Ménénius Agrippa. [Voyez t. VIII, p. 147 et 294.]

a Le sort. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 254.)