<178>Et, reine des jardins, mes charmes ravissants
Assurent mon empire établi sur les sens. »
« Je vaux bien plus que toi, dit la vigne à la rose :
Trop peu durable fleur, souvent, à peine éclose,
Un souffle d'aquilon vient terminer ton sort,
Le jour qui t'a vu naître est le jour de ta mort.
J'estimerais bien plus tes qualités divines,
Si ta tige hérissée enfantait moins d'épines,
Si, joignant à tes fleurs l'avantage des fruits,
Tu devenais utile ainsi que je le suis.
Regarde mes raisins si féconds en délices :
Qui ne préférerait mon vin à tes calices?
Ces grappes, au pressoir réduites en liqueurs,
Chassent l'ennui chez l'homme, et raniment les cœurs;
Mes pampres ont orné dans des fêtes galantes
Le thyrse de Bacchus, la tête des bacchantes :
Ta beauté n'a qu'un temps, et je dure toujours. »
Un gros vilain chardon écoutant leurs discours,
Occupant un terrain qu'il rendait inutile,
Leur dit, en hérissant son panache stérile :
« Je n'ai ni vos parfums ni vos fruits de bon goût,
Mais tout terrain m'est bon, ma plante vient partout,
Et vos fruits et vos fleurs, de quel nom qu'on les nomme,
Ne sont qu'un vil tribut que vous payez à l'homme :
De notre liberté nous connaissons le prix :
Allez, et des chardons n'attendez que mépris. »
Déjà ces végétaux se seraient fait la guerre,
Ils se seraient battus; mais ils tenaient en terre.
Au fort du démêlé, l'aigle de Jupiter
Entendit leurs brocards, planant sur eux en l'air.
« Étouffe, vil chardon, dit-il, ta voix profane;
Rebut de la nature et pâture de l'âne,
Que ma leçon t'apprenne à te moins estimer :
Il faut être parfait quand on veut tout blâmer. »
Et s'adressant, après, à ces diverses plantes :
« Réprimez, leur dit-il, vos satires mordantes,
Et sans vous avilir par vos propos amers,