<200>Mes jours sont passagers, mon être est limité,
Je prévois mon trépas : faut-il que j'en murmure?
Ah! mortel orgueilleux, écoute la nature;
C'est peu d'avoir sur toi répandu ses faveurs,
Elle veut bien encor détruire tes erreurs,
Vaincre tes préjugés, dissiper tes chimères,
Enfin t'initier à ses savants mystères :
« Je t'ai donné la vie, et c'est par mon concours
Que se forma ton corps, que s'accrurent tes jours;
Tes fibres déliés, leur tissure subtile,
Tout a dû t'annoncer que ton être est fragile.
A des conditions, tu vis quelques moments;
Quand je te composais de divers éléments,
Je leur promis alors que la mort équitable
Acquitterait un jour cet emprunt charitable :
Jouis de mes bienfaits, mais garde mon accord,
Je t'ai donné la vie, et tu me dois ta mort.
Tu veux que mon secours allonge tes années?
Redoute, malheureux, tes tristes destinées :
Je vois fondre sur toi les maux et la douleur,
Le chagrin dévorant te rongera le cœur;
Réduit à désirer la fin de ta carrière,
Ta main à tes parents fermera la paupière,
A tes plus chers amis, à ta postérité;
Isolé dans le monde en ta caducité,
Et perdant chaque jour tes sens et ta pensée,
De tes derniers neveux tu seras la risée.
Eugène et Marlborough, malgré leurs grands exploits,
Ont senti les effets de ces sévères lois;
Condé, le grand Condé survécut à lui-même;
L'Auguste des Français, malgré son diadème,
Éprouva l'infortune à la fin de ses ans,
Et vit dans un tombeau porter tous ses enfants. »
Voilà ce que dirait notre mère commune.
Hélas! trop vain mortel, son discours t'importune,
Ton cœur aime le monde; il brille, il éblouit,
Mais sa figure passe, et tout s'évanouit.