<303>Jusqu'à la moindre roue a sa tâche marquée;
Qu'une soupape tarde, ou se soit détraquée,
La machine s'arrête, et tout l'ordre est détruit.

Attendez le signal, et marchez sans tarder :
Qui ne sait obéir ne saura commander.
Tel, sous Louis de Bade exerçant son courage,
Finck de l'art des héros a fait l'apprentissage.
Des troupes qu'on rassemble en formidables corps
Les derniers des soldats composent les ressorts;
Ces ressorts agissants, ces membres de l'armée
D'un mouvement commun la rendent animée.
C'est ainsi, pour fournir aux superbes jets d'eaux
Que Versailles renferme en ses vastes enclos,
Qu'à Marli s'éleva cette immense machine
Qui rend la Seine esclave, et sur les airs domine :
Cent pompes, cent ressorts à la fois agissants
Pressent dans des canaux les flots obéissants,
Jusqu'à la moindre roue a sa tâche marquée;
Qu'une soupape cède, ou faible ou détraquée,
La machine s'arrête, et tout l'ordre est détruit.

+De même, dans ces corps que la gloire conduit,
Bien loin qu'un soldat suive un aveugle courage,
Il faut qu'il soit dressé pour remplir son ouvrage;a
Par ses faux mouvements, tardifs, prompts, inégaux,
On vit souvent manquer les projets des héros.
bAimez donc ces détails qu'on apprend dans nos bandes,
Ces petites leçons vous mèneront aux grandes,
Dans ces grades obscurs vous ne vieillirez pas,
Et dans peu, commandant d'un nombre de soldats,
Vous serez installé chef d'une compagnie;b
Après, d'un bataillon la troupe réunie,
Qui porte en main la foudre et lance le trépas,c
Soumise à votre loi, marchera sur vos pas;
Pour savoir les devoirsd qu'exige cette charge,
Apprenez dans quel ordre un corps avance et charge.d

Ainsi, dans ces grands corps que la gloire conduit.
Que tout soit animé d'un courage docile;
La valeur qui s'égare est souvent inutile,
Des mouvements trop prompts, trop lents, trop incertains,
Font tomber les lauriers qu'avaient cueillis vos mains.
Aimez donc ces détails, ils ne sont pas sans gloire,
C'est là le premier pas qui mène à la victoire;
Dans des honneurs obscurs vous ne vieillirez pas,
Soldat, vous apprendrez à régir des soldats :
Bientôt, chef éclairé d'une troupe intrépide,
Marchant de grade en grade où le devoir vous guide,
Vous verrez sous vos lois un bataillon nombreux;
Présidez à sa marche et gouvernez ses feux,
Montrez-lui dans quel ordre un bataillon s'avance,
Charge, tire, recharge, et s'arrête ou s'élance.


a On ne peut dire remplir son ouvrage, on dit : remplir sa tâche, son devoir. Le mot dresse est trop trivial. Encore une fois, le grand secret, le seul secret est d'ennoblir ces détails :
     

A peu près {Ainsi, dans ces grands corps que la gloire conduit, / Que tout soit animé d'un courage docile}
La valeur qui s'égare est souvent inutile,
Des mouvements trop prompts, trop lents, trop incertains,
Font tomber les lauriers qu'avaient cueillis vos mains.

b La même nécessité d'ennoblir les détails paraît ici plus que jamais. Installé chef d'une compagnie ne peut guère se souffrir, un nombre de soldats est trop vague.
     

Quelque chose d'approchant. {Aimez donc ces détails, ils ne sont point sans gloire, / Et c'est là le premier pas qui mène à la victoire; / Dans des honneurs obscurs vous ne vieillirez pas,}
postes
Soldat, vous apprenez à régir des soldats;
Bientôt, chef éclairé d'une troupe intrépide,
Marchant de grade en grade où le devoir vous guide,
Vous voyez sous vos lois un bataillon nombreux;
Dirigez bien sa marche et gouvernez ses feux,
Montrez-lui dans quel ordre un bataillon s'avance,
Charge, tire, recharge, et s'arrête ou s'élance.

c Le bataillon et la compagnie portent également cette foudre, lancent également ce trépas. Ce trépas et cette foudre sont des termes trop vagues.

d Savoir, devoir, consonnance dure; charge et charge, désinence plus dure.

+ Voltaire a rayé les mots « De même, dans ces, » et il a écrit au-dessus : « Ainsi, dans ces grands. »