<64>Je vous dois mes secours, je veux d'un bras stoïque
Vous tirer malgré vous de ce palais magique,
Rompre un charme fatal, et faire évanouir
Ce songe du bonheur dont vous croyez jouir.
Si le vice abrutit et rend l'homme difforme,
Devez à vos vertus votre première forme,
Reprenez ces travaux qui relèvent le cœur,
Qui nourrissent l'esprit, qui mènent à l'honneur.
Je pardonne vos goûts au vulgaire imbécile
Qui de ses passions porte le joug servile,
Qui ne distingue point dans sa brutalité
Le plaisir crapuleux d'avec la volupté,
Les filles de Vénus d'avec les Propétides,
Et qui ne peut remplir des moments toujours vides.
Suivez l'instinct du peuple, ou suivez la raison,
Qui vous fait par ma bouche une utile leçon;
Préférez ses conseils; la raison salutaire
N'interdit point à l'homme un plaisir nécessaire.
Apprenez que c'est moi qui dois vous enseigner
Les plaisirs qui sur vous sont dignes de régner,
Qui, bien loin d'amollir ou de corrompre l'âme,
Nourrissent dans l'esprit une divine flamme,
Qui charment la jeunesse et la caducité,
Brillants dans la fortune et dans l'adversité.
Ces vrais biens, au-dessus de la vicissitude,
Nous suivent dans le monde et dans la solitude;
Malades comme sains, de nuit comme de jour,
Dans nos champs, à la ville, en exil, à la cour,
Ils font dans tous les temps le bonheur de la vie.a
Les dieux, pour nous marquer leur clémence infinie,a
Ayant pitié des maux des fragiles humains,
Leur ont prêté l'appui de deux êtres divins :
L'un, c'est le doux sommeil, l'autre, c'est l'espérance.


a Voyez t. VIII, p. 156 et 304; et t. IX, p. 205.

a Ce vers et les trois suivants sont une réminiscence du commencement du VIIe chant de la Henriade :
     

Du Dieu qui nous créa la clémence infinie, etc.