<67>La nature, agissant comme une tendre mère,
A si bien fait pour moi, que l'art n'a rien à faire. »
J'en conviens, la nature eut des égards pour vous;
Mais, sans vous courroucer, qu'il soit dit entre nous,
Elle eut autant de soins de cette pierre brute,
De ce cocon de soie au ver servant de hutte,
De la vigne qui croît sauvage dans les champs.
C'est l'art qui les raffine, il taille les brillants,
Et ce cocon filé, passant sousa des roulettes,
Artistement tissu par mille mains adraites,
Eblouit dans l'étoffe, et ses riches couleurs
L'égalent à l'iris et surpassent les fleurs.
La vigne produirait, sans jardiniers habiles.
Au lieu d'un doux nectar des pampres inutiles;
Quand la nature a fait, c'est à l'art de polir,
Et le grand point consiste à savoir les unir.
Vous avez de grands biens; mais pouvez-vous donc croire
Qu'un peu de vil métal vous comblera de gloire,
Et que de vos aïeux les insignes vertus
Honorent votre nom depuis qu'ils ne sont plus?
Votre esprit est imbu de préjugés vulgaires,
Vos parchemins usés ne sont que des chimères;a
Le mérite est en nous, non pas dans ces faux biens
Que le hasard réclame et reprend comme siens;
Quelle erreur d'y placer notre bonheur suprême!
Leur prix est idéal, ils ne sont rien d'eux-même.
Vingt mille francs à Brieg font un homme opulent :
S'il les porte à Berlin, il n'est qu'un indigent;
Quand Berlin le méprise et que tout Brieg l'admire,
Ne faut-il pas conclure, en plaignant son délire,
Que l'homme en tout ceci n'étant compté pour rien,
Le cas qu'on fit de lui retombait sur son bien?
Ce sujet me rappelle un conte assez grotesque
D'un certain vieux Bernard,b personnage burlesque,
a Sur. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 98.)
a Voyez ci-dessus, p. 64.
b Voyez t. I, p. 110.