<93>Sur des sujets abstraits sa raison trop stérile,
Voulant être profonde, est tout au plus subtile.
Sait-il donc s'il est libre, ou si la volonté
Obéit en esclave à la fatalité?
Il ne se connaît pas, mais son esprit devine
Que ce vaste univers n'eut jamais d'origine,
Ou prétend expliquer comment Dieu, par trois mots,
Tira l'ordre du sein de l'antique chaos;
Et ce juge éclairé, décidant sans connaître,
Dira comme de rien se peut former un être.
Sait-il ce qu'est le vide, a-t-il pu concevoir
Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir?a
Laissons à cet Anglais digne de notre estime
L'honneur d'avoir trouvé par un calcul sublime
Les effets merveilleux nés de l'attraction;
Qu'il daigne m'expliquer ce qu'est l'impulsion,
Et quel est ce pouvoir dont l'effet peut produire
Qu'un corps, pesant sur l'autre, également l'attire?
Le grand Newton l'ignore, et son art n'en dit rien.
Qui poussera plus loin son calcul que le sien?
Dans une région de ténèbres couverte,
Qui de ces grands secrets fera la découverte,
Si cet esprit puissant, fait pour y réussir,
Malgré tous ses efforts n'a pu les éclaircir?
Lorsqu'un enfant d'Euclide avec exactitude
Veut marquer sur un plan les lieux, leur latitude,
Niveler des vallons ou mesurer des champs,
Il éprouve d'abord ses divers instruments;
Son opération dépend de leur justesse.
Cet usage, en effet, est rempli de sagesse.
Si l'on veut raisonner, n'est-il pas de saison
De connaître avant tout quelle est notre raison?
Mais l'homme qui s'ignore au hasard s'abandonne,
Il rejette, il approuve, il décide, il ordonne;
Resserré dans lui-même, un désir curieux
Égare sa pensée et la perd dans les cieux.
a Voyez t. VII, p. 127.