ODE IV (V). LE RÉTABLISSEMENT DE L'ACADÉMIE.25-a
Que vois-je? quel spectacle! ô ma chère patrie,
Enfin voici l'époque où naîtront tes beaux jours;
L'ignorant préjugé, l'erreur, la barbarie,
Chassés de tes palais, sont bannis pour toujours.
Les beaux-arts sont vainqueurs de l'absurde ignorance,
Je vois de leurs héros la pompe qui s'avance,
Dans leurs mains les lauriers, la lyre, le compas;
La Vérité, la Gloire
Au temple de Mémoire
Accompagnent leurs pas.
Sur le vieux monument d'un ruineux portique
Abattu par les mains de la grossièreté,
S'élève élégamment un temple magnifique
Au dieu de tous les arts et de la vérité;
C'est là que le savoir, la raison, le génie,
Ayant vaincu l'erreur à force réunie,
<24>Élèvent un trophée aux dieux leurs protecteurs,
Ainsi qu'au Capitole
Se portait le symbole
Du succès des vainqueurs.
Sous le règne honteux de l'aveugle ignorance,
La terre était en proie à la stupidité;
Ses tyranniques fers tenaient sous leur puissance
Les membres engourdis de la simplicité.
L'homme était ombrageux, crédule, abject, timide.
La vérité parut et lui servit de guide,
Il secoua le joug des paniques terreurs;
Sa main brisa l'idole
Dont le culte frivole
Nourrissait ses erreurs.
Sur la profonde mer où navigue le sage
De sa faible raison uniquement muni,
Le ciel n'a point de borne et l'eau point de rivage,
Il est environné par l'immense infini;
Il le trouve partout, et ne peut le comprendre,
Il s'égare, il ne peut ni monter ni descendre,
Tout offusque ses yeux, tout échappe à ses sens :
Mais l'obstacle l'excite,
Et la gloire l'invite
A des travaux constants.
Par un dernier effort la raison fit paraître
Ces sublimes devins des mystères des dieux;
C'est par leurs soins que l'homme apprend à les connaître,
Ils éclairent la terre, ils lisent dans les cieux,
Les astres sont décrits dans leur oblique course,
Les torrents découverts dans leur subtile source,
Ils ont suivi les vents, ils ont pesé les airs,
Ils domptent la nature,
Ils fixent la figure
De ce vaste univers.
<25>L'un, par un prisme adroit et d'une main savante,
Détache cet azur, cet or et ces rubis
Qu'assemble des rayons la gerbe étincelante
Dont Phébus de son trône éclaire le pourpris;
L'autre du corps humain que son art examine
Décompose avec soin la fragile machine
Et les ressorts cachés à l'œil d'un ignorant;
Et tel d'un bras magique
Vous touche et communique
L'électrique torrent.
Je vois ma déité, la sublime éloquence,
Des beaux jours des Romains nous ramener les temps,
Ressusciter la voix du stupide silence,
Des flammes du génie animer ses enfants;
Ici coulent des vers, là se dicte l'histoire,
Le bon goût reparaît, les filles de Mémoire
Dispensent de ces lieux leurs faveurs aux mortels,
N'écrivent dans leurs fastes,
De leurs mains toujours chastes,
Que des noms immortels.
Tel, au faîte brillant de la voûte azurée,
On nous peint de cent dieux l'assemblage divers;
La nature est soumise à cette âme sacrée
Qui gouverne les cieux, la terre et les enfers :
Dans cette immensité chacun a son partage :
Aux antres de l'Etna Vulcain forge l'orage,
Éole excite en l'air les aquilons mutins,
Tandis que Polymnie
Par sa douce harmonie
Enchante les humains :
Telle brille en ces lieux cette auguste assemblée,
Ces sages confidents, ces ministres des dieux,
Ces célestes flambeaux de la terre aveuglée;
Le préjugé lui-même est éclairé par eux,
<26>Leurs soins ont partagé l'empire des sciences,
Leur sénat réunit toutes les connaissances,
Leur esprit a percé les sombres vérités,
Leurs jeux sont des miracles,
Leurs livres, des oracles
Par Apollon dictés.
Fleurissez, arts charmants; que les eaux du Pactole
Arrosent désormais vos lauriers immortels.
C'est à vous de régner sur le monde frivole,
C'est au peuple ignorant d'honorer vos autels.
J'entends de vos concerts la divine harmonie,
Le chant de Melpomène et la voix d'Uranie,
Vous célébrez les dieux, vous instruisez les rois;
Une main souveraine,
Un goût puissant m'entraîne
Sous vos suprêmes lois.
25-a Cette ode, lue par Darget dans la séance publique de l'Académie, le 25 janvier 1748, fut publiée pour la première fois dans l'Histoire de l'Académie royale des sciences et belles-lettres, Année 1747. A Berlin, 1749, p. 5-8. Elle y est intitulée Le renouvellement de l'Académie des sciences, titre qu'elle porte également dans la première édition des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, MDCCL, in-4. t. II.