ODE X (XI). A VOLTAIRE. QU'IL PRENNE SON PARTI SUR LES APPROCHES DE LA VIEILLESSE ET DE LA MORT.
Soutien du goût, des arts, de l'éloquence,
Fils d'Apollon, Homère de la France,
Ne te plains point que l'âge à pas hâtifs
Vers toi s'achemine,
Et sans cesse mine
Tes jours fugitifs.
La Providence égale toutes choses,
Le doux printemps se couronne de roses,
L'été, de fruits, l'automne, de moissons;
L'hiver, l'indolence
A la jouissance
Des autres saisons.
Voltaire, ainsi l'homme trouve en tout âge
Des dons nouveaux dont il tire avantage;
S'il a passé la fleur de ses beaux jours,
La raison diserte
Remplace la perte
Du jeu, des amours.
<49>Quand il vieillit, sa superbe sagesse
Avec dédain condamne la jeunesse,
Qui par instinct suit une aimable erreur;
L'ambition vaine
L'excite et l'entraîne
Au champ de l'honneur.
Lorsque le temps, qui jamais ne s'arrête,
De cheveux blancs a décoré sa tête,
Par sa vieillesse il se fait respecter;
L'intérêt l'amuse
D'un bien qui l'abuse,
Et qu'il faut quitter.
Toi, dont les arts filent la destinée,
Dont la raison et la mémoire ornée
Font admirer tant de divers talents,
Se peut-il, Voltaire,
Qu'avec l'art de plaire
Tu craignes le temps?
Sur tes vertus ce temps n'a point de prise,
Un bel esprit nous charme à barbe grise;
Lorsque ton corps chemine à son déclin,
Le dieu du Permesse
Te remplit sans cesse
De son feu divin.
Je vois briller la beauté rajeunie
Des premiers ans de ce vaste génie,
Et c'est ainsi que l'astre des saisons
Des bras d'Amphitrite
Lance aux lieux qu'il quitte
Ses plus doux rayons.
<50>Hélas! tandis que le faible vulgaire,
Qui sans penser languit dans la misère,
Traîne ses jours et son nom avili,
Sortant de ce songe,
Pour jamais se plonge
Dans un sombre oubli;
Tu vois déjà ta mémoire estimée,
Et dans son vol la prompte renommée
Ne publier que ta prose et tes vers;
Tu reçois l'hommage
(Qu'importe à quel âge?)
De tout l'univers.
Ces vils rivaux dont la cruelle envie
Avait versé ses poisons sur ta vie,
Que tes vertus ont si fort éclipsés,
Vrais pour ta mémoire,
A chanter ta gloire
Se verront forcés.
Quel avenir t'attend, divin Voltaire!
Lorsque ton âme aura quitté la terre,
A tes genoux vois la postérité :
Le temps qui s'élance
Te promet d'avance
L'immortalité.
(La réponse que Voltaire fit à cette ode, le 3 octobre 1751 [à Potsdam],
se trouve dans les Œuvres de Voltaire, édition Beuchot, t. LV, p. 676,
et t. XII, p. 530.)