<104>Qu'à terre on vit sauter plus d'un flacon,
Et qu'en leurs mains maints verres se brisèrent.
Comme au rivage on voit après le flux
Dans peu de temps succéder le reflux,
On vit ici se presser par la porte
D'un peuple fou la nombreuse cohorte;
Il entre, il sort, et par le défilé,
Lassé de voir, il s'était écoulé.
Le saint alors dévotement s'avance :
« Ne perdez point, leur dit-il, patience,
Tout doit à gré dans peu nous réussir;
Pour le présent, laissons, par bienséance,
Au pauvre mort le loisir de dormir;
Sortons, demain il faudra revenir. »
Après qu'au mort on eut ouvert la bouche,
Et que sa sœur, bonne et sainte Mitouche,a
L'eut abreuvé d'un bouillon restaurant,
Chacun s'en fut, rempli de ce spectacle,
Et curieux de l'inouï miracle
Qu'opérerait ce pieux charlatan.
Ce jour enfin pour leurs souhaits arrive.
Avant qu'un coq eût chanté le matin,
Des bons parents la troupe fugitive
Vint promptement retrouver leur cousin.
On le revit, hélas! toujours de même,
Roide, immobile et le visage blême;
Le saint revint, et fortement promit
Que, par l'effet de son pouvoir suprême,
On reverrait le mort sortir du lit;
Sur quoi d'abord nouveaux bouillons on fit.
Enfin, depuis, huit jours on attendit;
Point de miracle; on attend le quinzième;


a Sainte Mitouche est un personnage de la Pucelle de Voltaire (V, 21), qui a mis sous le texte la note suivante : « On disait autrefois sainte n'y touche, et on disait bien. On voit aisément que c'est une femme qui a l'air de n'y pas toucher; c'est par corruption qu'on dit sainte Mitouche. » L'expression usitée aujourd'hui est sainte nitouche.