<127>Ont défiguré mes pensées;
Mais surtout gardez le secret.
Voilà la façon dont j'ai parlé à ma muse, ou à mon esprit; j'y ajoutais encore quelques réflexions. Voltaire, leur disais-je, est malheureux : un libraire avide de ses ouvrages ou quelque éditeur familier lui volera un jour sa cassette, et vous aurez le malheur, mes vers, de vous y trouver et de paraître dans le monde malgré vous. Mais sentant que cette réflexion n'était qu'un effet de l'amour-propre, j'opinai pour le départ des vers, trouvant dans le fond que ces laborieux ouvrages, au lieu de trouver une place dans votre cassette, serviraient mieux dans la tabagie du roi Stanislas. Qu'on les brûle; c'est la plus belle mort qu'ils peuvent attendre. A propos du roi Stanislas, je trouve qu'il mène une vie fort heureuse. On dit qu'il enfume madame du Châtelet et le gentilhomme de chambre ordinaire de Louis XV, c'est-à-dire qu'il ne peut se passer de vous deux. Cela est raisonnable, cela est bien. Le sort des hommes est bien différent. Tandis qu'il jouit de tous les plaisirs, moi, pauvre fou, peut-être maudit de Dieu, je versifie. Passons à des sujets plus graves. Savez-vous bien que je me suis mis en colère contre vous, et cela tout de bon? Comment pourrait-on ne point se fâcher? car
Du plus bel esprit de la France,
Du poëte le plus brillant,
Je n'ai reçu depuis un an
Ni vers ni pièce d'éloquence.
C'est, dit-on, que Sémiramis
L'a retenu dans Babylone.
Cette nouvelle Tisiphone
Fait-elle oublier des amis?
Peut-être écrit-il de Louis
La campagne en exploits fameuse
Où, vainqueur de ses ennemis,
Les bords orgueilleux de la Meuse
Arborèrent les fleurs de lis.
Jamais l'ouvrage ne dérange
Un esprit sublime et profond;
D'où vient donc ce silence étrange?