LETTRE V. A VOLTAIRE.
De Potsdam, le 13 février 1749.
Je reçois avec plaisir deux de vos lettres à la fois. Avouez-moi que ce grand envoi de vers vous a paru assez ridicule; il me semble que c'est un Thersite qui veut faire assaut de valeur contre un Achille. J'espérais qu'à vos lettres vous joindriez une critique de mes pièces, comme vous en usiez autrefois, lorsque j'étais habitant de Rheinsberg, où le pauvre Keyserlingk, que je regrette et que je regretterai toujours, vous admirait. Mais Voltaire, devenu courtisan, ne sait donner que des louanges; le métier en est, je l'avoue, moins dangereux. Ne pensez pas cependant que ma gloire poétique se fût offensée de vos corrections : je n'ai point la fatuité de présumer qu'un Allemand fasse de bons vers français.
La critique douce et civile
Pour un auteur est un grand bien;
Dans son amour-propre imbécile,
Sur ses défauts il ne voit rien.
Ce flambeau divin qui l'éclaire
Blesse à la vérité ses yeux,
Mais bientôt il n'en voit que mieux,
Il corrige, il devient sévère.