<161>Il voit souvent ses partis écloppés,
Tout balafrés, s'enfuyant hors d'haleine,
Et dans les champs leurs membres dissipés.
« Hélas! dit-il, s'appuyant sur Rosière,
Qui ressemblait à l'homicide Mars,
A quel saint dois-je adresser ma prière?
Qui diable peut rassembler nos fuyards?
Si tant de fois j'ai tenté les hasards,
Je n'en puis mais, beaucoup je m'en chagrine,
Si nous voyons que l'aigle des Césars
Sous tant de coups menace enfin ruine. »
« Prince, lui dit prudemment son ami,
Quittez, quittez la tristesse et l'ennui;
Au noir chagrin ne soyez pas en proie :
Qui pleura hier rit peut-être aujourd'hui.
Que les plaisirs, les festins et la joie
Fassent cesser la douleur qui vous noie.
Vous éprouvez le destin des combats;
Si m'en croyez, faisons un bon repas.
Demain, s'il plaît à l'aveugle fortune,
Sur l'ennemi versant notre rancune,
A notre tour nous ferons grand fracas. »
Il dit; d'abord la table fut couverte
De mets exquis; on en mangea sans perte.
Trente laquais à la démarche alerte
Volaient sans fin de la table au buffet.
Du vin du Cap à longs traits on buvait;
L'âpre Pontac, le pétillant Champagne,
Différemment les verres colorait,
Et le filet des langues déliait.
Le Saint-Ignon, qui battait la campagne,
Dans son harnois très-fort se démenait.
Le bon Charlot en perdit la tristesse,
Et sur son front la brillante allégresse
Tout doucement sa douleur effaçait.
Déjà chacun parlait de sa maîtresse.
Se déridant, le bon Charlot riait;