<241>Pour dissiper votre fâcheux déboire,
Chemin faisant, vous ferai mon histoire.
Je suis le fils cadet du Juif errant;
Mon père était savant dans le grimoire,
Et des démons il fut l'ami prudent.
Je suis natif d'un bourg en Dalmatie;
De là, mon père, avec lui me menant,
Me transporta, jeune encore, en Russie.
Bien me gardai de débuter en juif;
Je pris le nom de quelque baronnie,
Je m'affichai, je fis le décisif,
Et des barons j'affectai la manie.
A mes propos facilement on crut,
Et d'un emploi bientôt on me pourvut;
Je remplissais la cour de la Czarine,
Et n'étais point haï de Catherine.
Du temps passé, tout ce peuple brutal
Sentait à peine un instinct bestial;
Stupidement rampant dans sa patrie,
En respectait l'antique barbarie.
Pierre le Grand, sachant les redresser,
Sur les deux pieds leur apprit à marcher;
Il fit couper les barbes à ces bêtes,
A la française habilla ses boyards,
Les enrôla dessous ses étendards.
Mais il ne put jamais changer leurs têtes :
Jusqu'à présent très-mal apprivoisés,
A gouverner ils sont très-malaisés.
C'est chez ces gens que le dieu du mystère
Paraît avoir fondé son séminaire.
Pour s'expliquer, nul signe ne fait-on,
Rien ne s'y dit, et chacun sait s'y taire;
On n'y marcha jamais sur le talon;
Les courtisans, ô race sans pareille!
Jusqu'à bonjour se disent à l'oreille.
Mais cependant ce que j'ai vu de bon,
C'est qu'on y boit de la bonne façon,