<44>A l'ongle venimeux, à la dent qui déchire,
Aux infernales eaux abreuvant leur satire,
Et ces bavards et ces fâcheux,
Tous parasites ennuyeux.
Cette tranquille solitude
Défend, comme un puissant rempart,
Contre tous les assauts qu'avec la multitude
La turbulente inquiétude
Livre aux sages amants des sciences et des arts.
Ah! d'Argens, que l'espèce humaine
Est sotte, folle, avide et vaine!
Heureux qui, retiré dans un temple à l'écart,a
Voit sous ses pieds grossir et gronder les orages,
Contemple de sang-froid les écueils, les naufrages
Où les ambitieux, vains jouets du hasard,
De leurs tristes débris vont couvrir les rivages!
Heureux, cent fois heureux le mortel inconnu
Qui, d'un esprit non prévenu,
Repoussant hardiment le poison de la gloire,
De sa coupe jamais n'a bu,
De qui le goût solide est enfin revenu
De tous ces vains lauriers que dispense l'histoire,
Et qui, par ses vertus vers son siècle acquitté,
N'élève point d'autels à sa propre mémoire,
Ne gueuse point l'encens de la postérité!
Méprisons tous ces fous qui priment sur les autres,
Marquis, ces faux plaisirs ne seront pas les nôtres :
Ah! plutôt verra-t-on d'Argens levé matin,
L'âne emporter le prix à la rapide course,
La Camasb devenir putain,


a Ces vers rappellent ceux de Lucrèce, De la nature des choses, livre II, vers dont Voltaire a donné la traduction en ces termes :
     

Heureux qui, retiré dans le temple des sages,
Voit en paix sous ses pieds se former les orages,
Qui contemple de loin les mortels insensés,
De leur joug volontaire esclaves empressés, etc.

Œuvres de Voltaire

, édit. Beuchot, t. IV, p. 153; t. XIII, p. 387.

b Voyez ci-dessus, p. 23.