<80>« Il suffit, me disait un jeune homme éventé,
De son esprit brillant fortement entêté,
Il suffit à mes vœux, pour m'assurer de plaire,
De changer à propos d'air et de caractère :
Taciturne, Caton, avec mes bons parents,
Aussi fou que la Lippea avec les jeunes gens,
Quelquefois débitant des propos de morale,
Ou pourceau d'Épicure, en vrai Sardanapale,
Maître de ma personne et sûr de mon maintien,
Pantomime accompli, savant comédien,
De mes fins agréments le public idolâtre,
Docile à mes désirs, s'attroupe à mon théâtre.
Lorsque je tiens à tout, mon cœur ne tient à rien,
Je flatte tout le monde et plais par ce moyen :
Le siècle est fait ainsi; le monde que j'abuse
Prétend être abusé; sa volonté m'excuse.
Je parviens à mon but en me jouant de lui :
On sifflerait partout l'homme franc aujourd'hui,
La simple vérité sent trop l'impolitesse,
La cour a pour l'ouïr trop de délicatesse,
On craint le sobriquet d'honnête homme grossier,
Le courtisan surtout doit faire son métier.
La mode est notre loi; le temps, qui nous consume,
Asservit les vertus et tout à la coutume. »
Quoi! la mode aurait droit de détruire à son gré
Le lien des mortels le plus saint et sacré?
La bonne foi serait sujette à son caprice?
On verrait succomber la vertu sous le vice,
Et le fourbe à ses pieds fouler la probité?
Le monde périrait sans la sincérité.
Toi-même, le premier, que l'erreur environne,
Et qui, sans réfléchir, au crime t'abandonne,
Qu'un scélérat plus fin, pratiquant tes leçons,
Te tende un piége adroit, et, par ses trahisons,
a Albert-Wolfgang comte de Schaumbourg-Lippe, né en 1699, mort en 1748. Depuis 1738 jusqu'en 1740 il entretint des relations intimes et une correspondance très-amicale avec Frédéric, alors prince royal.