<82>Par une volte adroite enfler sa bourse étique,
Par flux ou par reflux, ou dupants ou dupés,
Ainsi nous verrait-on et trompeurs et trompés.
Tu flattes tes défauts, lâche, tu les caresse :
Ah! tremble, malheureux, tu quittes la sagesse.
La fausseté te plaît, redoute ses progrès :
Tu parviendras peut-être au comble des forfaits.
Des vices des humains la nuance est légère,
De l'artificieux le perfide est le frère;
Dans ce dédale obscur, privé de la raison,
Tu pourras t'égarer jusqu'à la trahison.
Ainsi du haut d'un roc à cime blanchissante
Tombe et roule un monceau de neige étincelante;
Son volume s'accroît et grossit en roulant,
Mais sa chute finit enfin en s'écroulant :
Ainsi du premier crime est la suite fâcheuse;
Ce poids, qui nous entraîne en sa course orageuse,
Augmente à chaque instant notre perversité;
Et d'écoliers, docteurs dans la méchanceté,
En étendant partout la pratique des vices,
Nous tombons d'un abîme en d'affreux précipices.
Dans ce monde méchant on ne peut être bon,
Dira du Florentin13 le disciple profond;
Entouré de filous, il faut s'armer de ruse,
Qui prétend nous duper mérite qu'on l'abuse;
Et colorant ainsi les vices de son cœur,
Il trouve l'innocence où je vois la noirceur.
Il modela longtemps sa morale farouche
Sur Borgia, Célamar,a Mahomet et Cartouche;
Ses mots entortillés ont un sens captieux,
Il est profane un jour, l'autre, religieux,
Et de l'hypocrisie il prend le masque utile,
Pour armer les fureurs du vulgaire imbécile;
Mais dans l'art des fripons ce scélérat savant
Sait cacher sous des fleurs les piéges qu'il nous tend.
13 Machiavel.
a Le prince Cellamare. Voyez t. I, p. 163.