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VERS A JORDAN, SUR LA COMÈTE QUI PARUT EN 1743.82-a

Hélas! Jordan, tu tremble encor,
Et tu crains pour ce pauvre monde
Que la grande comète Hétor,
Que le ciel à jamais confonde!
Vienne terminer notre sort.
Pour toi, ce serait grand dommage :
Tu n'es qu'à la fleur de ton âge,
Tu fis à tout pauvre chrétien
Au moins mille fois plus de bien
Que ce prélat82-11 qu'en beau langage
La Neuville rendit si sage,82-b
Que personne n'y connut rien.
En tous lieux ton bon cœur opère :82-12
Par tes soins l'école s'éclaire,
Et par toi le pauvre est nourri;
Tous les fous t'appellent leur père,
Les Madeleines leur mari.
<72>Et voilà pourquoi je souhaite
Que l'impertinente comète
N'ait pas le cœur de te rôtir.
Pour moi, s'il me fallait partir
Pour le pays de Proserpine,
Ma mort ferait anéantir
Une âme tant soit peu mutine.
Tu sais très-bien que, jeune fou,
J'ai renversé les vieux systèmes
Que les marins, peuples jaloux,
Avaient arrangés pour eux-mêmes,
Que nos aïeux topinamboux83-a
Avaient révérés à genoux.
Oui, tu sais que mon bras coupable
N'expédia que trop souvent
Plus d'un maudit pandour au diable,
En Silésie, en nous battant.
Ainsi, quand sur moi, misérable,
Cette affreuse comète Hétor
Lancerait son feu redoutable,
Elle n'aurait, ma foi, pas tort.

Potsdam, ce 27 de juin 1743.


82-11 Cardinal Fleury, mort alors.

82-12 Il avait l'inspection des universités, de la maison de travail et de la maison des fous.

82-a Une comète avait été dans son périhélie en janvier 1743.

82-b Oraison funèbre de Monseigneur le cardinal de Fleury, prononcée le 25 mai 1743, par le R. P. de Neuville. A Paris, 1743. Voyez t. X, p. 250.

83-a Les Topinamboux, peuplade indienne nombreuse et guerrière, habitant une grande partie du Brésil. Le Roi emploie ici ce nom comme synonyme de sauvage.