<169>Sous un bras téméraire autant qu'audacieux
Elle tombe une nuit, presque à nos propres yeux.
Dès lors les embarras de tout côté nous pressent,
Depuis ce coup fatal tous les troubles renaissent;
De l'Oder jusqu'au Rhin, de Cosel à Colberg,
On voit l'airain tonnant, et la flamme, et le fer,
Déployer leur horreur sur toutes mes provinces,
N'épargner ni les grands, ni les peuples, ni princes;
Tout l'État est en butte à ce commun danger.
Je ne puis me défendre, et je dois me venger?
Les projets des Césars, des Condés, des Eugènes,
Dans cette extrémité sont des sciences vaines;
Il faudrait que le ciel, favorable à nos vœux,
Daignât manifester son bras miraculeux.
Nos moyens sont à bout, l'adresse et la vaillance
Succombent sous le nombre et sous la violence
De l'univers entier conjuré contre nous.
« Le sage doit prévoir; il le peut, direz-vous :
Des faits bien combinés lui tiennent lieu d'augures,
Il se prépare ainsi d'heureuses conjonctures. »
La prudence, marquis, est un fil incertain,
Il guide, égare, et cède au pouvoir du destin;
L'apparence souvent dément ce qu'elle indique,
Ce qui paraît probable au fond est chimérique.
Tel est ce labyrinthe où l'homme, sans flambeau,
Se perd en tâtonnant, l'œil chargé d'un bandeau.
Le perfide métier que celui qui m'occupe!
En calculant mes pas, je n'en suis pas moins dupe
Des caprices du sort et des événements;
Je perds en vains projets de précieux moments.
Ma constance, aux abois du fardeau qui m'excède,
D'un soin opiniâtre y veut porter remède;
Mais quel esprit perçant pourra me conseiller
Par quel art ce chaos pourra se débrouiller?
Ah! quelque fermeté qu'ait l'âme la plus forte,
Un torrent de malheurs sur elle enfin l'emporte;
Quand on n'a plus d'espoir, le courage tarit,