<180>Des chagrins, des revers, une douleur profonde,
Des piéges, des dangers, des ennemis cruels,
Des soins pour des ingrats, des soucis éternels;
Et si, se consumant en des travaux utiles,
Le destin les traverse, on les croit malhabiles;
Aux malheurs, aux hasards plus que d'autres soumis.
Ils ont des envieux, et point de vrais amis.
Si je m'en étais cru, j'aurais cent fois moi-même
Arraché de mon front ce fatal diadème;
Le trône est un objet qui ne m'a point tenté,
L'éclat qui l'environne est faste et vanité.
L'honneur et le devoir forcent à le défendre :
S'il est de la grandeur de savoir en descendre,
C'est un opprobre affreux de s'en laisser chasser;
Et puisque le destin a daigné m'y placer,
Je ne veux, quels que soient les malheurs que je brave,
Ni régner en tyran, ni mourir en esclave.
Le bonheur au pouvoir ne fut point attaché,
Le vulgaire le croit sous la pourpre caché;
Mais le vulgaire enfin, juge sans connaissance,
Prend pour réalité ce qui n'est qu'apparence.
Pour moi, qui dans le monde ai de tout éprouvé,
Dans ces divers états mon cœur vide a trouvé
Qu'au milieu de ces maux le seul bien véritable,
Aux grandeurs, à la gloire, aux plaisirs préférable,
Seul bien étroitement à la vertu lié,
C'est de pouvoir en paix jouir de l'amitié.
Ah! je l'ai possédée une fois en ma vie,
Dans le sein d'une sœur que la mort m'a ravie;
Amitié, don du ciel, seul et souverain bien,
Tu n'es plus qu'un vain nom, son tombeau fut le tien.
A Strehlen, le 11 novembre 1761.