<188>Que tout homme lui doit le tribut de sa cendre.
Lorsque le doux sommeil, nous couvrant de pavots,
Rend le corps insensible aux biens ainsi qu'aux maux,
Privée entre ses bras des sens de la pensée,
L'âme éprouve la mort tant qu'elle est éclipsée,
Et le corps se dissipe et s'accroît tous les jours.
D'atomes étrangers le nombre et le concours
Répare en aliments la force qui s'altère,
Mais ce n'est plus ce corps qu'allaita notre mère;
L'invisible progrès de tant de changements
Forme un être nouveau par le secours des ans.
S'il subsiste et s'il vit par sa métamorphose,
Du trépas dans son sein rien n'affaiblit la cause;
La Mort nous attend tous près de son étendard,
L'un y vole à la hâte, et l'autre y va plus tard,
Ainsi que les ruisseaux et les grandes rivières,
Par des canaux divers se creusant leurs carrières,
D'un cours égal au fleuve, au rapide torrent,
Vont se précipiter au sein de l'Océan;
De leurs flots confondus le tribut le ranime,
Dans son immensité leur nom et tout s'abîme.
Esprit séditieux, spectateur plein d'orgueil,
Entouré de débris, assis sur un écueil,
Si, tandis que tu vis, tout ce que tu contemples
De la destruction t'offrit les grands exemples,
Apprends à te soumettre, à respecter ton sort :
La vie était pour toi l'école de la mort.
Si ce souffle inconnu qui t'anime et qui pense
Souffre du changement et sent la décadence,
Si, lorsque tu péris, un même coup l'éteint,
Après cet attentat qu'est-ce donc que l'on craint?
La mort à la douleur te rend inaccessible;
Tes organes détruits, ton corps est insensible.
Mais si ce même esprit, par un bienfait des dieux,
Triomphant du trépas te survit dans les cieux,
Cesse de t'alarmer, ton cœur n'a rien à craindre,
Bénis plutôt le ciel, et rougis de te plaindre.