<62>Elle embellit leurs traits de brillantes couleurs,
Et noircit les talents de leurs compétiteurs.
Dans la noble carrière où le héros s'élance,
Son génie au hasard dispute l'influence;
Mais il épuise en vain ses soins et ses efforts,
Il dépend malgré lui des plus faibles ressorts.
Ces hommes ramassés dont se forme une armée
Sont les vils instruments qui font sa renommée;
La crainte, le désordre ou l'ardeur du soldat
Fixent l'incertitude et le sort du combat.
Parmi tant de hasards qu'il court ou qu'il évite,
Ses solides projets attestent son mérite;
C'est d'eux qu'on doit juger, et non sans fondement
L'applaudir, le blâmer selon l'événement.
Dans ce sens, des héros considérons l'histoire.
Eugène, dont le nom présageait la victoire,
Parut trop confier ses succès aux hasards,
Alors qu'il insulta les fameux boulevards
Dont l'Ottoman superbe environna Belgrade;
Il brave les périls, son cœur le persuade
Qu'il peut forcer ses murs et renverser ses tours,
Avant que l'ennemi lui porte des secours.
Le vizir indigné vient l'assiéger lui-même,
Il envoie aux chrétiens la disette au teint blême;
Le désespoir, la mort, s'offrent à leurs regards.
Pressés par le vizir, accablés des remparts,
Le Danube à leur dos rend leur retraite vaine;
Tout conspirait enfin à la perte d'Eugène.
Il faut mourir ou vaincre; un noble désespoir
L'oblige à tout risquer, ainsi qu'à tout prévoir.
Il fond sur l'ennemi couvert par des tranchées;
Tout cède, des mourants les campagnes jonchées
Laissent un libre cours aux vainqueurs empressés;
Les Ottomans confus sont pris ou dispersés.
Longtemps le vieux vizir tint par sa résistance
Le sort des deux États en égale balance;
De ses nobles desseins les beaux commencements