<63>Furent mal secondés par les événements;
Le Germain, couronné des mains de la victoire,
En emporta lui seul l'avantage et la gloire.
Ah! si jamais, Eugène, un de tes hauts projets
Aux yeux d'un guerrier sage annonça des succès,
Ce fut près de Luzare, où tes soins et ta ruse
Ont préparé le piége au Français qui s'abuse.
Te dérobant, tu pars, et plus prompt que l'éclair,
Des digues du Sero ton camp est à couvert.
A ces bords dangereux, sans nulle défiance,
Vendôme conduisait les guerriers de la France :
Eugène attend l'instant que le soldat mutin
Sorte du camp français pour courir au butin;
Pendant tout ce désordre il veut par la surprise
Fixer en sa faveur la fortune indécise.
Quel fut l'effet d'un plan si bien imaginé?
Un Français curieux, par la digue borné,
Y monte sans dessein; il voit dans la campagne
Eugène et ses héros vengeurs de l'Allemagne;
Il vole en rapporter la nouvelle en son camp.
Bientôt on se rassemble, on combat sur-le-champ;
Eugène fut battu :a tel est le sort des armes.
Dans ce métier si dur, et pourtant plein de charmes,
Souvent un rien peut nuire, et dérober le fruit
Du plus savant dessein presque à sa fin conduit.
Eugène l'éprouva lorsqu'il surprit Crémone;b
Par un canal secret que ne connaît personne,
Il entre dans la ville, il borde le rempart;
On l'en croit déjà maître. Admirez le hasard :
Un Irlandais actif qui veillait pour la France
Accourt auprès du Pô, prépare sa défense.
La garnison l'apprend, tout se joint à son corps,
On combat, on repousse, on redouble d'efforts;
Le Français enhardi, que le sort favorise,
Force enfin le héros d'abandonner sa prise.
a Bataille de Luzzara, 15 août 1702.
b Le 1er février 1702.