<90>L'encens ne fuma point dans Athènes ni Rome
Pour le premier de tous, le dieu de l'amitié,
Seul être, s'il en fut, qui méritât des temples;
Tant le vulgaire faible et fait pour s'égarer
Confond ce qu'il doit craindre ou qu'il doit adorer.
Sans doute l'univers manquait de grands exemples :
Le fidèle Euryale et le tendre Nisus,
Et Thésée et Pirithoüs,
Leurs héroïques faits, leurs fastes respectables,
N'étaient que d'anciennes fables.
Pour donner du lustre aux vertus,
Il faut des héros véritables
Et des exemples plus connus.
Vous, ma divine sœur, que j'honore et révère,
Dont mon orgueil séduit se vante d'être frère,
Si Delphes, si Colchos, en des temps fortunés,
Avaient pu rencontrer dans leurs murs étonnés
Un cœur comme le vôtre, une vertu si rare,
Les temples, les autels de festons couronnés,
Le peuple, le pontife, à vos pieds prosternés,
La victime tombant sous un glaive barbare,
Tout vous eût assuré l'hommage des mortels :
Leur amour, leur reconnaissance,
Du prix de l'amitié connaissant l'excellence,
Vous auraient sous son nom consacré des autels.
Qui sentit mieux que moi sa bénigne influence?
Dans mes jours fortunés et dans ma décadence
Vous goûtiez mon bonheur, vous pleuriez mes revers.
Ah! pourrais-je oublier cette amitié constante.
Sensible, courageuse, et toujours agissante,
Qui a su compenser les maux que j'ai soufferts?
Lorsque ma fortune expirante
Offrait ma dépouille sanglante
Aux tigres de carnage et de sang affamés;
Lorsque mon propre sang, rebelle à la nature,
Dans ces jours désastreux et de malheurs semés,
Joignit les triumvirs pour aigrir ma blessure;