<97>Achille, au talon près, était invulnérable.
A tout autre malheur on trouve des secours,
Le temps après l'orage amène de beaux jours;
Mais qui peut réparer des pertes éternelles?
Quand la mort a blessé de ses flèches cruelles
Ces parents, ces amis, objets de nos souhaits,
On s'en voit séparé, cher mylord, pour jamais.
Réclamez-les aux cieux, invoquez l'enfer même,
L'Achéron ne rend plus ceux qu'on pleure et qu'on aime;
L'irrévocable loi de la fatalité A ce terme arrêta notre témérité.
Pour toujours, chère sœur, je vous ai donc perdue!
Le bras d'un Dieu cruel, sur ma tête étendu,
Par des coups redoublés à me perdre occupé,
Au plus sensible endroit à la fin m'a frappé.
Avec mille regrets, ô mânes que j'adore!
Je rappelle les jours de ma première aurore,
Où, sitôt que mon cœur a paru s'animer,
Mes premiers sentiments furent de vous aimer.
De l'amour des vertus l'heureuse sympathie
Forma notre union par l'estime nourrie,
Et bientôt la raison développée en nous
Consacra pour jamais des sentiments si doux.
De notre attachement telle était l'origine,
Dès notre berceau même il a poussé racine;
Nous croissions ainsi sous l'auguste pouvoir
De parents dont les mœurs dictaient notre devoir;
Nous n'avions entre nous ni secret ni mystère,
Et la sœur ne faisait qu'une âme avec le frère.
Dès lors, combien de fois, sensible à mes douleurs,
Ses généreuses mains ont essuyé mes pleurs!
Comme dans les jardins on voit de jeunes plantes
S'entre-prêter l'appui de leurs tiges naissantes,
Pour éluder les coups des vents impétueux,
Nous nous prêtions ainsi des secours vertueux.
Depuis, dans les dangers d'un plus terrible orage,
Son héroïque exemple affermit mon courage.