AUX ÉCRASEURS.84-a
Monsieur de Soubise avait écrit en France, lorsqu'il marchait à Rossbach, qu'il allait cueillir un bouquet pour la Dauphine : la pièce roule sur ce bouquet.
A quoi pensiez-vous donc, Soubise,
Et tous vos jeunes freluquets?
Héros, par quelle balourdise
Vouliez-vous cueillir des bouquets
En Saxe, quand le vent de bise
Souffle et balaye les guérets?
Il gèle, fourrez-vous d'hermine,
Dans la Saxe il n'est plus de fleurs;
Vous savez, fameux écraseurs,
Que Flore, selon sa routine,
Ne règne plus lorsque domine
Le vent du nord, dont les rigueurs
Des hivers sont les précurseurs.
Jugez combien peu se combine
Ce bouquet pour votre Dauphine
Avec tous nos fleuves glacés;
C'est beaucoup si vous amassez
De quoi la couronner d'épine.
Cette offrande, quoique mesquine,
Ces chardons par vous enlacés,
<75>Enchanteront cette héroïne,
Ébahiront la Pompadour;
Et le Bien-aimé tout de même,
Longtemps assoupi par l'amour,
Bénira son nouveau système
Et son moderne Luxembourg.
Le héros, répète sa cour,
Est digne du grand roi qui l'aime.
Partout vos insignes exploits,
Votre dessein se développe;
Louis, cet écraseur de rois,
Devient l'arbitre de l'Europe.
Ah! si j'avais l'art et la voix
Du simple et naïf La Fontaine,
Je chanterais comme je dois
Ce monarque allié de Vienne,
Dont vos Français suivent les lois.
Mais mes chants, faits pour des ruelles,
N'effleurent que des bagatelles;
Ce grand roi doit se contenter,
Je vous le confesse sans feindre,
Du fameux Oudry85-a pour le peindre,
Et d'Ésope pour le chanter.
A Breslau, ce 20 décembre 1757.
84-a Voyez ci-dessus, p. 11.
85-a Jean-Baptiste Oudry, peintre et graveur, naquit à Paris en 1686, et mourut à Beauvais le 30 avril 1755.