AU SIEUR GELLERT.93-a
Le ciel, en dispensant ses dons,
Ne les prodigue point d'une main libérale;
Il nous refuse plus que nous ne recevons.
Pour tout peuple à peu près sa faveur est égale,
Les Français sont gentils, les Anglais sont profonds;
Mais s'il dénie à l'un ce qu'il accorde à l'autre,
Notre orgueil sait changer en roses nos chardons,
Au talent du voisin nous préférons le nôtre.
A Sparte régnait la valeur,
Mars se plut d'y former de fameux capitaines;
Tandis que la molle douceur
Des beaux-arts enchanteurs respirait dans Athènes.
De Sparte nos vaillants Germains
Ont hérité l'antique gloire :
Combien de grands exploits ont rempli leur histoire!
Mais s'ils ont trouvé les chemins
Qui vont au temple de Mémoire,
Les fleurs se fanent en leurs mains,
<83>Dont ils couronnent la Victoire.
C'est à toi, cygne des Saxons,
D'arracher ce secret à la nature avare,
D'adoucir, dans tes chants, d'une langue barbare
Les durs et détestables sons.
Ajoute, par les vers que ta muse prépare
Sur les pas du divin Maron,
Aux palmes des vainqueurs, dont le Germain se pare,
Les plus beaux lauriers d'Apollon.
(Leipzig, 16 octobre 1757.)
93-a Dans le manuscrit revu par le Roi lui-même, cette Épître, du 16 octobre 1757, est aussi intitulée, Au sieur Gellert; mais il est évident que c'est par erreur, car l'Épître fut en réalité adressée à Gottsched, qui la publia aussitôt, avec sa réponse du même jour en langue allemande, dans l'ouvrage intitulé, Das Neueste aus der anmuthigen Gelehrsamkeit. Leipzig, Wintermond 1758, p. 125 et 126. Il avait déjà publié dans ce recueil, p. 40, sa traduction allemande d'une strophe de Rousseau, qui lui avait valu l'honneur de recevoir ces vers du Roi. Voyez, t. X, p. 158.