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CONTE. LES AMOURS D'UNE HOLLANDAISE ET D'UN SUISSE, PAR CORRESPONDANCE.

Dans ces beaux jours où renaît la nature,
Où l'air pesant de ses frimas s'épure,
On voit éclore et fleurs et papillons.
Il naît aussi des Amours par millions;
Les uns sont gais, libertins et volages,
Les autres sont rêveurs et sérieux;
Ceux-ci hautains et tant soit peu sauvages,
Ceux-là plus vifs, ardents, impétueux,
Tracassiers, changeants, capricieux.
Mais en faisant ces divers personnages,
Dans leurs esprits ils ont mêmes travers.
Défiez-vous de leurs doux gazouillages,
De leurs transports, de leurs serments légers
Que les zéphyrs emportent dans les airs;
Retenez bien, si vous m'en voulez croire,
Ce conte-ci, recueilli de mon temps
Dans les replis secrets de ma mémoire.
Or, cet Amour dont je vous fais l'histoire,
Vers le début de ce présent printemps,
Reçut le jour de grotesques parents;
Il naquit donc chez une Hollandaise
<154>Folle d'orgueil, et qui se pâmait d'aise
Lorsque l'espoir de titres éclatants
Enflait son cœur tout pétri de fadaise.
Couchée un jour mollement sur sa chaise,
Soit vanité, soit par amusement,
Elle voulut se donner un amant,
Quoique son cœur, selon la voix publique,
Fût réputé dans les pays flamands
Pour des plus froids, pour flegmatique.
Donc il avint que l'Amour qu'elle fit,
Très-ressemblant à sa mère, naquit
Plein d'intérêt, le cœur paralytique,
Digne par là, si l'on y réfléchit,
De devenir un jour grand politique.
Ce gros Amour néanmoins prétendit
De devenir le concurrent pudique
De Cupidon, nommé le Cythérique.
Voici comment notre balourd s'y prit :
Il jeta l'œil sur un honnête Suisse :
Il se flatta, sans trop se fatiguer,
Qu'il pourrait bien au gré de son caprice
Prendre d'assaut ce cœur encor novice.
Il le fallait de fort loin subjuguer;
Il ne pouvait présenter à sa vue
De deux tetons les gentils boutonneaux,
Toujours flottants, tantôt bas, tantôt hauts,
Sur le satin d'une gorge charnue.
Il recourt donc alors très-à propos
A ce bel art qui, peignant nos idées,
Les fait passer par des mains affidées
Aux doux amants, ou bergers, ou héros.
La lettre vient, on la lit; que d'alarmes!
Elle disait en style gracieux :
« J'ai des trésors, ce sont là de vrais charmes;
Çà, que l'on m'aime, et qu'on rende les armes. »
Huit fois par mois ces aimables poulets
Venaient d'Utrecht à Freyberg par exprès,
<155>Pour rendre un Suisse amoureux et fidèle.
Le pauvre Suisse, assez mal en sequins,
Pour ce métal se sentant quelque zèle,
Aurait voulu soupirer pour la belle;
Mais comme on sait qu'ici-bas les destins
De toute chose ont disposé la course,
Notre bon Suisse, imbu de projets vains,
Ne se sentit épris que de la bourse,
Pour elle enfin s'allumait son brasier.
L'Amour d'Utrecht, balourd et non sorcier,
Ne savait point le code de Cythère;
Il ignorait que le grand art de plaire
A Cupidon valut plus d'un laurier.
Qu'arriva-t-il de l'affaire entamée?
Le voici net, et le monde saura,
Ainsi par moi que par la renommée,
Que notre Suisse assez froid demeura;
Le feu languit, la cendre s'affaissa,
Tout s'éteignit, et parmi la fumée,
L'Amour d'Utrecht dans les airs s'envola.
A tout Amour de pareil caractère,
Intéressé, froid et sans passion,
Du petit dieu très-difforme avorton,
Vénus dicta, pour l'honneur de Cythère,
Cette sentence équitable et sévère :
« Quiconque aura lésé de Cupidon
La majesté, pour sa punition
En qualité de fourbe et de faussaire,
N'atteindra pas à l'image légère
Du vrai bonheur dont jouit à foison
Quiconque sert et l'Amour, et sa mère.
Si cependant par ruse le félon
Entrelaçait les nœuds du mariage,
Le jour d'hymen sera pour le fripon
Le premier jour d'éternel cocuage. »

A Freyberg, avril 1760.