ENCORE ÉPITRE DU SUISSE AU CABINET DE MADEMOISELLE ULRIQUE.
Recevez, charmant cabinet,
Ce tas de rimes insensées;
Désormais confident secret
De mes amoureuses pensées,
Soyez prudent, sage et discret.
Combien je vous porte d'envie!
Vous êtes dans l'appartement
De celle par qui vivement
Mon âme en extase est ravie;
Vous la voyez à tout instant,
Elle vous touche en écrivant.
Si, par un beau trait de magie,
Je me pouvais pour un moment
Transformer à ma fantaisie,
Je serais, non en Silésie,
Mais, à Berlin assurément,
Le cabinet de mon amie.
<236>La nuit, lorsqu'elle dormirait,
Toujours vigilant auprès d'elle,
Je me tiendrais en sentinelle;
Lorsqu'elle se réveillerait,
L'objet premier qu'elle verrait,
Ce serait son amant fidèle.
Si le matin elle traçait
Sur moi, bureau, quelque billet,
Je baiserais, brûlant de zèle,
Cette main si blanche et si belle.
Qu'avec plaisir je porterais
Ce beau sein de neige et d'albâtre!
Qu'amoureusement idolâtre
Doucement je le presserais!
Que, si j'osais, je lui dirais
Tout ce qu'Antoine à Cléopâtre
A dit sur de pareils sujets!
Que j'aurais de cuisants regrets,
Si, trop vite et sans me rien dire,
Elle achevait trop tôt d'écrire!
Mais du moins en me refermant
Elle toucherait son amant;
Cette faveur sans conséquence
Pour moi serait d'un prix immense.
Au lieu de ce bruit sourd que fait
En se fermant tout cabinet,
Je m'écrierais, Catt vous adore!
Et sitôt qu'on me heurterait,
Je le répéterais encore.
Mais la triste réalité,
A l'œil plein de sévérité,
Dissipe de ma douce ivresse
La fiction enchanteresse,
Et de colère transporté,
Je me trouve ici rejeté
Dans un camp, loin de ma maîtresse.
<237>Je le vois, la félicité
N'est pour nous qu'un aimable songe;
Il vaut donc mieux, tout bien compté,
Être trompé par le mensonge
Qu'éclairé par la vérité.
A Péterswaldau, 9 septembre 1762.