<28>Je semblais isolé dans ce triste univers;
Ce qui peut soulager, ou consoler, ou plaire,
Devenait impuissant dans ces tourments d'enfers.
Quinze fois le soleil, fournissant sa carrière,
Au globe qu'il attire a rendu la lumière,
Quinze fois, sur son char d'ébène marqueté,
La nuit a répandu sa sombre obscurité,
Sans que le doux sommeil vînt clore ma paupière.
Ma vigueur affaiblie à tant de maux cédait,
Des fantômes confus dérangeaient ma pensée,
Mes sens étaient vaincus, et mon âme éclipsée
Dans peu m'abandonnait.
Près des bords d'Achéron, de la barque fatale,
Un vrai fils d'Esculape,a armé pour mon secours,
M'arrache avec effort de la rive infernale,
Et vient de prolonger mes jours.
Santé, que l'on ne connaît guère
Dans les plaisirs, les jeux, les ris,
Et qu'insulte souvent la vigueur téméraire,
C'est ta privation qui fait sentir ton prix.
O moment enchanteur! ô seconde naissance!
Je revis donc pour mes amis;
Un moment m'a rendu l'espoir, la jouissance
De tous les biens auxquels les mortels sont admis;
Je vous reverrai donc, moments remplis de charmes.
O sœur, à qui mes maux ont coûté tant de larmes!
O sœur, mon espoir, mon appui!
Vous m'écrivez, mon mal a fui.
Ah! si je vis, si je respire,
Si je suis délivré de mon cruel martyre,
Amitié, doux lien si peu connu des rois,
C'est à toi seul que je le dois.
Encor je jouirai de votre amitié tendre,
Je pourrai resserrer ces fidèles liens,
a Le Roi veut sans doute parler de son premier médecin ordinaire, le conseiller intime Chrétien - André Cothenius, élève de Frédéric Hoffmann, né à Anclam le 14 février 1708, mort à Berlin le 5 janvier 1789.