<37>Aille à Paris chercher et bal et comédie,
Empereur du Cathay, devrais-je l'imiter?
Tous mes vœux dans Pékin pourront se contenter;
Je suis de mes États le plus fameux poëte,
Ni césure, ni sens, ni rime ne m'inquiète.
Qui pourrait me siffler? seraient-ce les lettrés?
En payant leur encens, mes vers sont admirés.
On trouve ici des fous comme on en voit en France,
Bigots ou rimailleurs, gens pétris d'insolence :
L'homme est partout le même, et ses traits différents
Ne changent point l'esprit, les cœurs, les sentiments;
Ce sont d'autres travers et d'autres ridicules.
Et j'irais à Paris pour y voir nos émules,
Pour qu'un peuple indiscret, me désignant des doigts,
S'écrie, en me heurtant : Il a l'air bien chinois!a
Que m'importe, après tout, qu'alléguant Aristote,
Ou saint Thomas, ou Scot, en Sorbonne on radote,
Qu'on damne Confutzé, invoquant saint Denis,
Qu'on vous peuple l'enfer, comme le paradis,
Au gré d'un tonsuré dont l'étrange caprice
Dans un monde fictif vous envoie au supplice?
Mon bon sens, que l'erreur n'a jamais obscurci,
Rit de cet autre monde, et tient à celui-ci.
Ici tout bon Chinois fixe sa résidence,
Il est fort en vertus, mais débile en croyance,
Chérit la vérité, répugne aux fictions;
Dur comme un géomètre en ses opinions,
Au bonze fanatique, à l'ignorant brahmane
Il laisse avec mépris un culte tout profane.
Tandis que, me livrant aux jeux de mon loisir,
Mes vers sans nul effort coulent avec plaisir.
Et que mon âme heureuse en rien n'est alarmée,
Je vois vers l'Eucathay voler la Renommée;
Elle paraît manquer d'organes suffisants
Pour publier partout des succès étonnants.
a « Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. » Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXX, Rica à Ibben.