<4>C'est toi, fille du ciel, dont l'appui secourable
Du déclin de mes jours rend la fin supportable
Par le cœur dont ta main m'a rendu possesseur.
Ce noble sentiment, vous l'éprouvez, ma sœur.
Ce cœur que je chéris, quel est-il? c'est le vôtre;
Lui seul, il me suffit, je renonce à tout autre
Qui, volage, indiscret, habile à m'imposer,
De la vertu se pare afin d'en abuser.
Je trouve tout en vous, esprit, vertu, tendresse,
Et l'indulgent support qu'exige ma vieillesse;
A vous à cœur ouvert je puis me confier.
Quel malheur quand d'amis il faut nous défier!
On sent, on vit en eux, c'est un autre soi-même;
J'existe doublement dans une sœur que j'aime.
Que la jeunesse, aveugle en ses égarements,
Se livre au tourbillon de ses plaisirs bruyants;
Que de cent nouveautés la lanterne magique
Réveille son ennui d'un sommeil léthargique :
Je vois, sans l'envier, prospérer ses beaux jours,
J'ai pour calmer mes maux trouvé d'autres secours;
Vous avez vu, ma sœur, jusqu'où s'étend leur nombre.
Ainsi, sans que les ans me rendent morne ou sombre,
Des faveurs que sur moi le ciel daigna jeter,
En bornant mes désirs, je sais me contenter.
Votre amitié, ma sœur, en est la principale,
C'est un bien qu'à mes yeux aucun autre n'égale;
Daignez me conserver ce trésor précieux,
Et de tous les mortels je suis le plus heureux.
Que m'importe, dès lors, que mes sens s'affaiblissent,
Que mon ardeur s'éteigne, et mes cheveux blanchissent?
Je renonce à l'amour, j'embrasse l'amitié,
Et loin d'être à mes yeux un objet de pitié,
Sans redouter du temps l'irréparable outrage,
J'ai su trouver, ma sœur, des plaisirs en tout âge.
A Potsdam, le 15 de février 1765.