<45>Replonge encor l'État dans la confusion :
Voilà comme en nos jours le ridicule abonde.
Qui donc, répondez-moi, qui gouverne le monde?
Sont-ce ces potentats? Je vous réponds que non.
Serait-ce leur conseil rempli de déraison,
Qui bronche à chaque pas, qui vit sans prévoyance,
Péchant ou par faiblesse, ou par trop d'arrogance?
Quoi! ces fous, ignorants dans l'art de gouverner,
Qui vivent sans penser, juger, ni combiner,
Prétendent hardiment qu'un sage les honore?
Ah! qu'on double pour eux la dose d'ellébore,
Pour purger leurs cerveaux de projets gangrenés.
Qu'ont-ils produit de grand, ces rêveurs forcenés?
Du bruit et peu d'effet, de la tracasserie,
La discorde des rois, les maux de la patrie,
Et le plaisir, flatteur pour un plat polisson,
De voir le gazetier occupé de son nom.
Mais la fatalité qui des humains dispose,
Qui lia les effets à leur secrète cause,
Se rit de leurs projets inspirés par l'erreur,
Et, choquant leur orgueil, et blessant leur hauteur,
Fait voir que leur coursier n'était qu'une haridelle.
On les chante au Pont-neuf? Sottise, bagatelle!
Contents de leur mérite, ils poursuivent leurs pas
En dignes rejetons du pur sang de Midas.
Comme on voit par hasard dans des terrains sauvages
De grands chênes chargés de frais et beaux feuillages,
Il se rencontre aussi parmi les potentats,
Dans ce nombre infini de possesseurs d'États,
Quelque esprit moins sujet à de lourdes fredaines.
L'univers est surpris par de tels phénomènes,
On prodigue pour lui l'encens et le parfum;
Quelle merveille! un prince avoir le sens commun!
L'Europe se récrie, elle a peine à le croire.
Bientôt un envieux barbouille sa mémoire,
Les sots et les pédants se mettent à crier :
C'est un ambitieux, c'est un tracassier,