<51>Je n'ai jamais voulu, m'affichant pour poëte,
Étourdir les passants du bruit de ma trompette,
Ni répandre mes vers dans l'idiot public,
De ses vains préjugés esclave pour la vie;
Je ne suis pas si fou, et n'eus jamais le tic
D'éclairer son faible génie
Aux rayons du flambeau de la philosophie.
Peut-il sentir, peut-il goûter
Des vers où le bon sens s'allie
Aux grâces de la poésie?
Il n'est fait que pour végéter.
Je l'abandonne à sa bêtise,
L'erreur est sa divinité,
Et tout auteur le scandalise
Qui lui montre la vérité.
Quand encor le démon du Pinde me domine,
Que mon esprit appesanti,
Se ranimant, excite un feu presque amorti,
S'il m'échappe en riant une pièce badine,
Sans que mon nom soit compromis,
Sans penser au public, ma muse la destine
A désennuyer mes amis.
(Mars 1760.)