<271>Saint Louis.

Ah! nous voici sur la frontière juive;
Je te maudis, te quitte, et je m'esquive.
Louis tout seul s'approche du palais.
En le voyant, Sa Majesté l'admire;
Car Salomon jadis pour le construire
Mit sagement tout le Liban en frais.
Il est de cèdre, embelli par l'ivoire;
Sa vaste enceinte est un grand territoire;
Sur le fronton, ouvrage exquis de l'art,
On y voyait dame Rutha et Thamar,b
Et des Hébreux la véridique histoire.
Le Roi, placé dessus son trône d'or,
Alors donnait à tout juif audience.
L'introducteur, qui n'était pas butor,
Chasse en avant la multitude immense,
Nouveaux venus de Londre et de Byzance,
De Rotterdam, de Pologne et de France.
Le bon Louis, las d'attendre, bâillait,
Entre les dents tout doucement jurait.
Ce prince avait toujours dans la pensée
Le puntiglio de sa grandeur passée.
Tout en bâillant, il remarque à l'écart
Certain quidam; il crut le reconnaître.
Certes, c'est lui, c'est Samuel Bernard.c
Comment, monsieur, comment pouvez-vous être
Parmi le tas de ces vils circoncis?

Bernard.

Sachez, mon roi, mon souverain, mon maître,
Que j'ai passé chez les Français jadis
Pour plus grand juif que ceux qu'on voit paraître
Dans ce palais, chez Salomon admis.


a Ruth, chap. 3, v. 7 et suiv.

b Genèse, chap. 38, v. 13 et suiv.

c Voyez t. I, p. 110, t. VIII, p. 269, t. X, p. 73, et ci-dessus, p. 54 et 92.