<29>Ce fantôme spirituel,
Ce je ne sais quel sens, cet intellectuel,
De notre sot orgueil séduisante chimère,
Cet esprit inconnu, subtil et délié,
Sous l'attirail de la matière,
Ne se meut, ne voyage guère,
Tant les sens le tiennent lié.
Ah! si pour un moment le dieu qui me protége
M'eût daigné revêtir de la divinité,
Prenant Leibniz dans mon cortége,
Sur les ailes des vents, avec agilité,
Vers les champs de Cirey, par un effort rapide,
Éole m'aurait transporté.
On ne m'aurait point vu, par l'exemple emporté,
Copier trait pour trait du dieu galant d'Ovide
La coquette divinité :
Un dieu de qui la fourbe impose,
Qui ne plaît qu'en métamorphose,
Est indigne d'être imité.
Vous, dont l'esprit divin, l'agrément, la beauté,
Effaceraient Europe et terniraient Sémèle,
O vous! dont le cœur noble et l'âme illustre et belle
Feraient rougir l'antiquité,
Vous, qui, fuyant le fard, n'aimez que la nature,
Vous auriez renié tous les dieux déguisés
Dont l'artifice et l'imposture,
D'un vil taureau, d'un cygne empruntant la figure,
Trompaient les mortels abusés.
On ne me verrait point, pour rendre mes hommages,
De ces vils animaux emprunter les images;
Comme dieu j'offrirais l'encens sur vos autels,
Je vous présenterais mon cœur tendre et fidèle;
Car, pour servir une immortelle,
Il ne faut que des immortels.
(10 novembre 1737.)