<329>MADAME ARGAN.

Il est vrai qu'on devient vieille. Vous m'avez prise jeune, mon petit mouton; je ne saurais qu'y faire, il faut que tu me gardes comme je suis.

M. ARGAN.

Je ne vous ai rien reproché sur votre âge, et je vous dis uniment et simplement qu'une fille de dix-huit ans ne peut pas être assise toute la journée, et qu'il y a des plaisirs qu'on peut lui permettre.

MADAME ARGAN.

Des plaisirs qui sont d'horribles fatigues. J'ai été une fois dans ma vie à ces spectacles, mais j'en jure bien qu'on ne m'y rattrapera pas; j'en ai été malade à mourir, à ne pouvoir quitter le lit en trois semaines. Ces fatigues monstrueuses tuent le monde. Il faut qu'à neuf heures trois quarts je sois endormie, sans quoi je ne pourrais pas vivre; et ma fille est tout autre; elle tient de vous, aussi je l'appelle toujours votre fille. Mais mon fils le lieutenant, le pauvre garçon! c'est là mon image; c'est mon esprit, c'est mon âme toute crachée.

M. ARGAN.

Je n'entre point dans ces discussions-là; que les enfants ressemblent au père, ou qu'ils tiennent tout de la mère, c'est la même chose, pourvu qu'ils soient honnêtes gens.

MADAME ARGAN.

Ce pauvre petit Christophe! Il monte la garde une fois tous les huit jours; on va le ruiner à cette garnison. Je lui ai envoyé de mon bon café, et du thé de la Chine, et les restes d'une jolie étoffe pour servir à une robe de chambre, et un bon lit de duvet. Ce pauvre enfant! il n'ose pas se déshabiller quand il a la garde. Pensez un peu, mon petit mouton, rester habillé toute une nuit!

M. ARGAN.

Il faut qu'il fasse son devoir, et qu'il se rende digne du rang qu'il occupe; et vous le gâtez, ma femme, en le rendant mou et efféminé.