<47>Du fond de ton esprit je vois déjà d'avance
Découler des torrents de sublime science;
Je vois déjà, rangés sur mes rayons nouveaux,
De tes heureux écrits les gros in-folios,
Croître et multiplier, ainsi qu'une famille,
Les livres projetés dont ton esprit fourmille;
Je te vois, éclipsé sous leurs nombreux monceaux,
Oublier d'Hans Carvel le merveilleux anneau.a
O Jordan! souviens-toi que toute étude est vaine,
Qu'on y perd et son temps, sa vigueur, et sa peine,
Enfin qu'on n'a rien fait en ces terrestres lieux,
Si l'on n'a point appris le secret d'être heureux.
Vous aurez la bonté de faire la critique de la pièce. Les hyperboles y sont outrées; mais je vous jure qu'il n'y a rien de plus sec et de plus aride que le sujet de l'écritoire que je vous envoie. Il aurait été beaucoup plus naturel de l'accompagner simplement de deux mots de prose; tout homme sensé en aurait usé ainsi. C'est à la métromanie que je dois reprocher cette sottise et bien d'autres que j'ai faites dans ma vie. Souhaitez-moi par reconnaissance que celle-ci soit la dernière.
(Mai 1738.)
II.
Permets, sage Jordan, que, plein de bile noire,
Des maux de mes égaux je te fasse l'histoire,
Et qu'en examinant l'humaine infirmité,
Elle nous apprivoise à sa nécessité.
L'homme, dès le moment que sa faible paupière
S'ouvre, et qu'il voit du jour l'éclatante lumière,
Nous semble, par ses cris et par son air chagrin,
Pressentir quel sera son malheureux destin.
a L'Anneau d'Hans Carvel, conte de La Fontaine (livre II, conte XII), tiré de Rabelais, Gargantua et Pantagruel, livre III, chap. XXVIII.