<84>L'ennui, ce dieu pesant à la face glacée,
Cède, et bâille en cédant sa place à la pensée;
Et l'esprit scrutateur, la curiosité
Le chasse par l'étude et l'assiduité.
De nos talents divers, cachés à la lumière,
La modeste science est l'habile ouvrière;
Et cet or précieux, travaillé par ses mains,
En est plus estimé dans l'esprit des humains.
Le chef-d'œuvre divin du fameux Praxitèle.
Où quarante beautés servirent de modèle,
Avant d'être taillé, n'était qu'un bloc épais,
Grossier, raboteux, abject et sans attraits.
Mais son ciseau le touche, et le marbre respire;
Vénus paraît, on voit, on sent, et l'on soupire.
La nature fournit l'esprit et le bon sens;
Mais, sortis de ses mains, nous sommes ignorants.
L'art vient la seconder; son heureuse culture
Perfectionne en nous les dons de la nature;
Il enseigne aux humains quel est l'usage heureux
De l'esprit, des talents qu'ils reçurent des cieux.
Vois ces chênes touffus, aux cimes orgueilleuses,
Bizarrement courber leurs branches tortueuses;
Vois ces droits orangers égaux et façonnés,
De leur feuillage épais leurs rameaux couronnés :
L'emblème des premiers te dépeint l'ignorance;
L'image des seconds te marque la science.
Esprits appesantis, automates pesants,
Idiots avilis, presque privés des sens,
On voit revivre en vous ce roi grand et superbe
Qui, dégradé par Dieu, rampait et broutait l'herbe;a
Mais vous, esprits que Dieu, par générosité,
Releva d'un rayon de la Divinité,
Images du Très-Haut, agents de sa sagesse,
Je vous vois, élevés sur l'humaine faiblesse,
Sur l'aile du savoir transportés dans les cieux,
Égaler les esprits qui remplissent ces lieux.
a Nabuchodonosor. Voyez t. X, p. 77.