XXIII. ÉPITRE A D'ALEMBERT.
Le temps, cher d'Alembert, nous détrompe de tout;
De nos folles erreurs il découvre le bout.
J'ai passé les beaux jours où les plaisirs fourmillent,
Mes ans se sont accrus, et mes yeux se dessillent.
Je ne sers plus le dieu qu'on adore à Paphos;
Épicure m'appelle en vain sous ses drapeaux;
Il trouvera sans moi, pour remplir son étable,
De pourceaux sensuels un amas innombrable.
Des préjugés brillants m'avaient préoccupé;
Quand ma raison mûrit, ils se sont dissipés.
Je rougis en secret alors que ma mémoire
De mes illusions me rappelle l'histoire.
Ceint du bandeau des rois, j'eus de l'ambition;
Je voulus que la gloire éternisât mon nom,
Sans songer à ce peuple abruti dans la fange
Qui dispense au hasard le blâme et la louange,
Et dont le vil encens, des sots considéré,
Ne mérita jamais d'être trop désiré.
Les travaux, les soucis absorbèrent ma vie,
Je courtisais Bellone, en servant Uranie;
Mon esprit, occupé sans cesse de projets,
Dans l'obscur avenir découvrait des objets
Pour servir de pâture à son inquiétude.
L'art de régner devint ma principale étude;
Je croyais qu'un génie, en redoublant d'effort,
Combinant tous les cas, pût maîtriser le sort.