<98>Blâma stoïquement ma sensibilité :
Son austère froideur me fut insupportable.
Tout n'est que vanité; ce monde misérable
Nous promet mille biens, comme ce charlatan
Qui d'un air effronté vend son orviétan;
On l'avale à longs traits, séduit par l'espérance.
Et l'on est bien puni par sa propre imprudence.
On cherche le bonheur, on voudrait le saisir,
On croit l'apercevoir, on brûle d'en jouir.
Ici, la volupté, plus loin, c'est la science,
Ou c'est le héroïsme, ou l'altière puissance;
Là, ce sont des trésors qu'on veut accumuler;
Tant l'homme en ses désirs est fait pour s'aveugler!
Il n'approfondit rien, croit sans qu'il examine;
Sa passion l'emporte, il rêve, il imagine;
Son fantôme à ses yeux est un être réel.
Ainsi, cher d'Alembert, l'objet essentiel
Est de détruire en soi la brillante chimère
De ce bonheur parfait, inconnu sur la terre,
D'écarter et le voile, et cette obscurité
Qui dérobe à nos yeux la pure vérité,
De penser qu'ici-bas un moment d'existence
Exige moins de soins et moins de pétulance.
Pourquoi tous ces projets? pourquoi tous ces désirs?
L'instant qui suit peut-être emporte nos plaisirs.
Sur la fin de nos jours, l'âge à pas lents s'avance,
Il s'est associé la sage expérience;
Son pouvoir est si grand, sa force a tant d'attrait,
Qu'en prononçant un mot le charme disparaît,
Qui dans notre jeune âge offusquait notre vue;
O ciel! pourquoi si tard nous est-elle rendue?
De tout ce long discours, en deux mots, je conclus
Qu'on ne peut être heureux qu'en aimant la vertu.
(22 octobre 1776.)