XXV. ÉPITRE AU VIEUX BARON PHILOSOPHE.
Pöllnitz, pourquoi vous en défendre?Avouez plutôt sans façon
Que chez Socrate et chez Platon
Vous avez en secret su prendre
De mœurs une docte leçon.
Exemple d'un vrai philosophe,
Pourquoi craindre qu'un Aladin
Ou que le courtisan malin
D'un vil moqueur vous apostrophe,
Et jette son âpre venin
Sur vos beaux jours en leur déclin?
Croyez-moi, toutes vos finesses
N'offusquent point l'œil du voisin.
Il vous prend pour stoïcien
Quand il résume vos largesses,
Et qu'il vous voit fouler aux pieds
L'orgueil, le faste, les richesses,
Et ces grandeurs enchanteresses
Dont nous sommes émerveillés;
Quand il connaît l'antipathie
Qu'a pris votre philosophie
Pour tout ce qui ressemble à l'or;
<105>Qu'il voit que, par un noble effort,
Les deux tonneaux des Danaïdes
Ne se sont pas trouvés plus vides
Que ne l'est votre coffre-fort.
A tous ces faux biens de la vie
Vous préférez la pauvreté;
Votre cœur craint d'être infecté
Des vices de votre patrie.
Vous fuyez la terre avilie
Dans un siècle d'iniquité
Où l'extravagante folie
Excite la cupidité,
Raffine sur la volupté,
Inondant du luxe de l'Asie
La germanique loyauté;
Où la riche stupidité
S'élève au-dessus du génie;
Où tout faquin fait le seigneur
Lorsque sa bourse est bien garnie,
Et d'un air arrogant renie
Tout noble qui vit sans splendeur.
Enfin, dans ce siècle d'erreur,
Baron, vous êtes le vrai sage,
Que Diogène en vain chercha.
Caton, qui toujours s'attacha
A la vertu du premier âge,
Fut un farouche personnage
Qui jamais de vous n'approcha.
Ce Sénèque qui nous prêcha
De nous réduire à l'abstinence
Passait ses jours dans l'abondance,
A la cour faisait des jaloux,
Et se moquait d'eux et de nous
Dans ses écrits pleins d'arrogance.
Mais chez vous rien n'est contrefait;
Philosophe dans la pratique,
Au-dessus de toute critique,
<106>Dans Pöllnitz tout l'homme paraît;
Sans l'embarras de l'intérêt,
Sans bien, content de peu de chose,
Dans l'univers rien ne s'oppose
Aux vœux de votre cœur discret.
Qu'à vos désirs je porte envie,
O sage, ô fortuné baron!
Sans le fardeau d'un trop grand nom,
Vous passez en paix votre vie;
La fausseté n'a point le front
De pavaner sa face impie
Pour tromper votre bonhomie
Au milieu de votre salon;
Au lieu qu'un roi, pour l'ordinaire,
Les matins, lorsqu'il se fait voir,
Dans ces vains respects du devoir
Que lui rend sa cour mercenaire
Ne lit point dans le caractère;
Il peut croire, sans penser noir,
Que dans lui l'intérêt vénère
Et la fortune, et son pouvoir.
Heureux votre rustique gîte!
Lorsque quelqu'un vous y visite,
C'est l'effet pur de l'amitié;
Et si vous dînez en ermite,
Jamais vous n'êtes ennuyé
Par les propos d'un parasite,
Adulateur d'un Sybarite,
A ses dépens rassasié.
Vous ignorez quelle est la peine
D'arrondir un ample domaine
Pour favoriser de ce lot
Quelque parent ingrat ou sot;
Et quand la fièvre et la migraine
Minent votre tempérament,
Vous ne redoutez point la gêne
De dicter, en agonisant,
<107>Un volumineux testament.
Avec tant de philosophie,
Ce qui me paraît étonnant,
C'est cette rare modestie,
Qu'on ne voit guère en compagnie
D'un philosophe ou d'un savant.
Je me flatte de vous connaître :
Loin des mœurs qu'on voit aujourd'hui,
Vieux baron, vous paraissez être
Le philosophe malgré lui.