APPENDICE.[Titelblatt]
<408><409>MÉROPE, OPÉRA EN TROIS ACTES. (1756.)[Titelblatt]
<410>PERSONNAGES. | ACTEURS. |
MÉROPE, veuve de Cresphonte, roi de Messène | L'Astrua. |
POLYPHONTE, tyran de Messène | Stefanino. |
ÉGISTHE, fils de Mérope | Paolino. |
NARBAS, vieillard | Romani. |
EURYCLÈS, favori de Mérope | Porporino. |
ÉROX, favori de Polyphonte | Luini. |
ISMÉNIE, confidente de Mérope | Gasperini. |
La scène est à Messène, dans le palais de Mérope.
<411>MÉROPE.
ACTE 1.
SCÈNE I.
La scène représente un vestibule du palais royal.
POLYPHONTE, ÉROX.467-a
ÉROX.Seigneur, n'attendez point que la reine fléchisse.
En proie à sa douleur, en proie à son caprice,
Elle pleure Cresphonte, elle cherche son fils,
Elle vous compte enfin parmi ses ennemis.
De ce fils, qu'elle attend, l'aveugle amour la guide,
Et le trône, à ses vœux, n'est dû qu'au sang d'Alcide.
Mais vous, né son sujet, sans nom et sans aïeux,
Qu'elle a vu s'élever malgré vos envieux,
Mérope, de nos rois et la fille et la mère,
Doit trouver votre main une offre téméraire.
N'attendez donc rien d'elle, et, sans forcer sa main,
Au trône votre esprit doit s'ouvrir un chemin.
Entre ce trône et moi je vois un précipice;
Il faut que ma fortune y tombe ou le franchisse.
Mérope attend Égisthe, et le peuple aujourd'hui,
Si son fils reparaît, peut se tourner vers lui.
En vain, quand j'immolai son père et ses deux frères,
De ce trône sanglant je m'ouvris les barrières;
En vain, dans ce palais, où la sédition
Remplissait tout d'horreur et de confusion,
<412>Ma fortune a permis qu'un voile heureux et sombre
Couvrît mes attentats du secret de son ombre :
Si ce fils, tant pleuré, dans Messène est produit,
De quinze ans de travaux j'ai perdu tout le fruit.
De Narbas, à mes yeux, l'adroite diligence
Aux mains qui me servaient arracha son enfance;
Narbas, depuis ce temps, errant loin de ces bords.
A bravé ma recherche, et trompé mes efforts.
Que craignez-vous, seigneur? Déjà vos satellites
D'Élide et de Messène occupent les limites.
Si Narbas reparaît, si jamais à leurs yeux
Narbas ramène Égisthe, ils périssent tous deux.
Eh bien, encor ce crime! il m'est trop nécessaire.
Mais en perdant le fils, j'ai besoin de la mère;
J'ai besoin d'un hymen utile à ma grandeur,
Qui détourne de moi le nom d'usurpateur.
AIR.
Enfant heureux de la Fortune,
Toi que de la poussière elle a pu relever,
Crains-tu qu'une main importune
T'arrache la grandeur que tu sus enlever?
Cet astre qui t'éclaire,
C'est ta propre valeur;
Et ton destin prospère,
C'est ton superbe cœur.
Appui de mes projets par tes soins dirigés,
Érox, va réunir les esprits partagés;
Que l'avare en secret te vende son suffrage,
Assure au courtisan ma faveur en partage,
Du lâche qui balance échauffe les esprits :
Promets, donne, conjure, intimide, éblouis.
AIR.
Ce fer peut me conduire au trône;
Mais, surpassant l'art des vainqueurs,
<413>De ce peuple qui m'environne
Je prétends séduire les cœurs.
Je ne suis point né pour dépendre;
L'ambition me fait la loi.
Pour l'espoir de devenir roi,
Érox, il faut tout entreprendre.
SCÈNE II.
La scène représente l'appartement de Mérope.
MÉROPE, EURYCLÈS, ISMÉNIE.469-a
MÉROPE.Quoi! l'univers se tait sur le destin d'Égisthe!
Je n'entends que trop bien ce silence si triste.
Aux frontières d'Élide enfin n'a-t-on rien su?
Madame, on vous amène un jeune homme inconnu,
Pris au bord de la mer, de qui la main sanglante
D'un meurtre encor récent paraissait dégouttante.
Ah, ciel! un meurtrier! Voilà le coup mortel;
Tout sert à déchirer ce cœur trop maternel.
Il a tué mon fils, la voix de la nature
En secret contre lui dans mon âme murmure.
Les chemins, je le sais, de brigands infestés,
Du barbare tyran servent les cruautés;
Mon fils aura péri, c'est là ce qui m'afflige.
Mais quel est l'inconnu? Répondez-moi, vous dis-je.
C'est un de ces mortels du sort abandonnés,
Nourris dans la bassesse, aux travaux condamnés;
Un malheureux sans nom, si l'on croit l'apparence.
N'importe, quel qu'il soit, qu'il vienne en ma présence.
Mon cœur a tout à craindre, et rien à négliger.
Qu'il vienne, je le veux, je veux l'interroger.
Vous serez obéie. Allez, et qu'on l'amène;
Qu'il paraisse à l'instant aux regards de la Reine.
Ah! concevez l'horreur de mes cruels ennuis.
Ce tyran qui poursuit, qui détrône mon fils,
Croit en m'offrant sa main ne point blesser ma gloire.
Vos malheurs sont plus grands que vous ne pouvez croire.
On prétend cet hymen, et le sort irrité
Vous fait de cet opprobre une nécessité.
C'est un cruel parti; mais c'est le seul peut-être
Qui pourrait conserver le trône à son vrai maître,
Et l'on croit ....
Non, mon fils ne le souffrirait pas.
Faut-il jusqu'à ce point pousser les attentats?
Pouvez-vous demander que l'intérêt surmonte
Cette invincible horreur que j'ai pour Polyphonte?
AIR.
Ah! reine, si votre cœur aime
Ce cher fils, dont l'adversité
Vous accable plus que lui-même,
Pensez que la nécessité
Des humains est la loi suprême,
Et qu'enfin votre volonté
Peut lui rendre le diadème.
Ah! ne me parlez plus ni d'hymen ni d'empire;
Parlez-moi de mon fils, dites-moi s'il respire,
Cruel, apprenez-moi ....
Voici cet étranger
Que vos tristes soupçons brûlaient d'interroger.
SCÈNE III.
MÉROPE, EURYCLÈS, ÉGISTHE, enchaîné, ISMÉNIE, GARDES.471-a
MÉROPE.Approche, malheureux, et dissipe tes craintes.
Réponds-moi; de quel sang tes mains sont-elles teintes?
O reine! pardonnez; le trouble, le respect,
Glacent ma triste voix, tremblante à votre aspect.
(à Euryclès.)
Mon âme, en sa présence, étonnée, attendrie ....
Parle. De qui ton bras a-t-il tranché la vie?
D'un jeune audacieux que les arrêts du sort
Et ses propres fureurs ont conduit à la mort.
D'un jeune homme! Mon sang s'est glacé dans mes veines.
Ah! ... T'était-il connu?
Non : les champs de Messènes,
Ses murs, leurs citoyens, tout est nouveau pour moi.
Quoi! ce jeune inconnu s'est armé contre toi?
Tu n'aurais employé qu'une juste défense?
J'en atteste le ciel; il sait mon innocence.
Aux bords de la Pamise, en un temple sacré,
Où l'un de vos aïeux, Hercule, est adoré,
J'osais prier pour vous ce dieu vengeur des crimes;
Je ne pouvais offrir ni présents ni victimes.
Deux inconnus armés m'ont abordé soudain,
L'un dans la fleur des ans, l'autre vers son déclin.
<416>Quel est donc, m'ont-ils dit, le dessein qui te guide?
Et quels vœux formes-tu pour la race d'Alcide?
L'un et l'autre à ces mots ont levé le poignard.
Le ciel m'a secouru dans ce triste hasard :
Cette main du plus jeune a puni la furie;
Percé de coups, madame, il est tombé sans vie;
L'autre a fui lâchement, tel qu'un vil assassin.
Vos soldats m'ont saisi, de mon sort incertain;
Ils m'ont nommé Mérope, et j'ai rendu les armes.
Eh! madame, d'où vient que vous versez des larmes?
Te le dirai-je? hélas! tandis qu'il m'a parlé,
Sa voix m'attendrissait, tout mon cœur s'est troublé.
Cresphonte, ô ciel!... j'ai cru ... que j'en rougis de honte!
Oui, j'ai cru démêler quelques traits de Cresphonte.
Les dieux ont sur son front imprimé la candeur;
Il n'a rien d'un barbare, et rien d'un imposteur.
Demeurez. En quel lieu le ciel vous fit-il naître?
En Élide.
Qu'entends-je! en Élide! Ah! peut-être ...
Sans doute que Narbas, qu'Égisthe t'est connu.
Aucun de ces deux noms jusqu'à moi n'est venu.
Ma mère a nom Sirris, Polyclète est mon père.
Quel rang occupent-ils? Sont-ils dans la misère?
Sous ses rustiques toits mon père vertueux
Fait le bien, suit les lois, et ne craint que les dieux.
Chaque mot qu'il me dit est plein de nouveaux charmes.
Pourquoi donc le quitter? pourquoi causer ses larmes?
Sans doute il est affreux d'être privé d'un fils.
Un vain désir de gloire a séduit mes esprits.
De l'Élide en secret dédaignant la mollesse,
J'ai voulu dans la guerre exercer ma jeunesse,
Servir sous vos drapeaux, et vous offrir mon bras :
Voilà le seul dessein qui conduisit mes pas.
AIR.
La gloire anima mon courage,
Je courus chercher le danger;
Je crus indigne de mon âge
De respirer sans vous venger.
Hélas! le ciel inexorable
Malgré moi m'a rendu coupable.
(Il part.)
MÉROPE.Le mensonge n'a point cette simplicité.
Je l'avouerai, j'en crois son ingénuité.
Tendons à sa jeunesse une main bienfaisante;
C'est un infortuné que le ciel me présente.
Il suffit qu'il soit homme, et qu'il soit malheureux.
Mon fils peut éprouver un sort plus rigoureux.
Il me rappelle Égisthe, Égisthe est de son âge;
Peut-être, comme lui, de rivage en rivage.
Inconnu ....
SCÈNE IV.
MÉROPE, EURYCLÈS, ISMÉNIE.474-a
ISMÉNIE.Ah! madame, entendez-vous ces cris?
Savez-vous bien....
Quel trouble alarme tes esprits?
Polyphonte l'emporte, et nos peuples volages
A son ambition prodiguent leurs suffrages.
Il est roi, c'en est fait.
J'avais cru que les dieux
Auraient placé Mérope au rang de ses aïeux.
Succombant sous les maux, dans l'abîme où nous sommes.
J'ai mal connu les dieux, j'ai mal connu les hommes.
J'en attendais justice; ils la refusent tous.
Permettez que du moins j'assemble autour de vous
Ce peu de nos amis qui, dans un tel orage,
Pourront encor sauver les débris du naufrage.
AIR.
Que le ciel conjuré
Excite la tempête,
Menace votre tète,
Rien n'est désespéré.
Opposez à l'orage
Ce magnanime cœur.
Du danger le courage
Rend à la fin vainqueur.
SCÈNE V.
MÉROPE, ISMÉNIE.475-a
ISMÉNIE.L'État n'est point ingrat; non, madame, on vous aime,
On vous conserve encor l'honneur du diadème.
Le peuple vous appelle au rang de vos aïeux;
Suivez sa voix, madame, elle est la voix des dieux.
Inhumaine, tu veux que Mérope avilie
Rachète un vain honneur à force d'infamie!
SCÈNE VI.
MÉROPE, EURYCLÈS, ISMÉNIE.476-a
EURYCLÈS.Madame, je reviens en tremblant devant vous;
Préparez ce grand cœur aux plus terribles coups.
Hélas! cet assassin, ce séducteur impie,
Lui, dont nous admirions la vertu poursuivie,
A plongé son poignard dans le malheureux sein ...
Justes dieux! de mon fils ce monstre est l'assassin?
C'est lui qui sur Égisthe a mis ses mains hardies,
A pris de votre fils les dépouilles chéries,
L'armure que Narbas emporta de ces lieux.
(On apporte l'armure sur le théâtre.)
Le traître avait jeté ces gages précieux,
Pour n'être point connu par ces marques sanglantes.
Ah! que me dites-vous? Mes mains, ces mains tremblantes
En armèrent Cresphonte, alors que de mes bras
Pour la première fois il courut aux combats.
O comble de malheur! Quoi! ce jour que j'abhorre,
Ce soleil luit pour moi! Mérope vit encore!
Je vois tout. O mon fils! quel horrible destin!
Voulez-vous tout savoir de ce lâche assassin?
SCÈNE VII.
MÉROPE. EURYCLÈS, ISMÉNIE, ÉROX, GARDES DE POLYPHONTE.477-a
ÉROX.Madame, par ma voix, permettez que mon maître,
Trop dédaigné de vous, trop méconnu peut-être,
<420>Dans ces cruels moments vous offre son secours.
Il a su que d'Égisthe on a tranché les jours;
Il vous offre ce trône; agréez qu'il partage
De ce fils, qui n'est plus, le sanglant héritage,
Et, que, dans vos malheurs, il mette à vos genoux
Un front que la couronne a fait digne de vous.
Mais il faut dans mes mains remettre le coupable;
Le droit de le punir est un droit respectable;
Son sang de votre hymen arrosera l'autel.
Non, je veux que ma main porte le coup mortel.
Si Polyphonte est roi, je veux que sa puissance
Laisse à mon désespoir le soin de ma vengeance.
Qu'il règne, qu'il possède et mes biens, et mon rang;
Tout l'honneur que je veux, c'est de venger mon sang.
Ma main est à ce prix; allez, qu'il s'y prépare.
A remplir tous vos vœux mon maître se déclare.
AIR.
Acceptez un cœur qui vous aime.
Daignez répondre quelques mots
Aux tendres désirs d'un héros
Qui vous offre son diadème.
Calmez ces funestes ennuis,
Ces pleurs, ces regrets d'une mère;
Car la douleur la plus amère
Ne peut vous rendre votre fils. (Il part.)
SCÈNE VIII.
MÉROPE, ISMÉNIE.478-a
MÉROPE.RÉCITATIF.
(Con accompagnamento.)
Rien ne peut égaler un destin si terrible.
Non, le tyran me fait un affront trop sensible.
Cet hymen que je crains ne s'accomplira pas.
Au sein du meurtrier j'enfoncerai mon bras;
<421>Mais ce bras à l'instant m'arrachera la vie.
On ne me verra point rougir sous l'infamie.
Que les dieux à leur gré témoignent leur courroux;
Je puis venger mon fils et venger mon époux;
Mais je ne joindrai point, dans ces jours sanguinaires,
Les flambeaux de l'hymen aux flambeaux funéraires.
Moi, vivre! moi, lever mes regards éperdus
Vers ce ciel outragé que mon fils ne voit plus!
Le sort en est jeté; mon âme plus rassise
Prévoit tous les dangers, les brave, les méprise.
AIR.
Quand on a fait naufrage,
Quand on n'a plus d'espoir,
La vie est un outrage,
Et la mort un devoir.
Je vois mon diadème
Sur un front étranger,
Je perds un fils que j'aime;
Qu'aurais-je à ménager?
SCÈNE IX.
La scène représente une grande place; à côté, l'entrée d'un temple, un mausolée.
NARBAS, seul.479-aO douleur! ô regrets! ô vieillesse pesante!
Je n'ai pu retenir cette fougue imprudente,
Cette ardeur d'un héros, ce courage emporté,
S'indignant dans mes bras de son obscurité.
Je reviens sans Égisthe; il est péri peut-être.
De quel front aborder la mère de mon maître?
Dieux! cachez mon retour à ses yeux pénétrants;
Dieux! dérobez Égisthe au fer de ses tyrans.
Aucun de mes amis ne parait à ma vue.
Je vois près d'un tombeau une foule éperdue.
AIR.
O vieillard malheureux!
Je sens qu'en moi le trouble,
Dans ces lieux odieux,
<422>A chaque pas redouble.
Si mon prince, inconnu,
Sous le tyran succombe,
O mort! ouvre ma tombe,
Je n'ai que trop vécu.
SCÈNE X.
NARBAS, ISMÉNIE, SUITE DE LA REINE.479-b
ISMÉNIE.Quel est cet inconnu dont la vue indiscrète
Ose troubler la Reine, et percer sa retraite?
Il peut servir Mérope; il voudrait lui parler.
Ah! quel temps prenez-vous pour oser la troubler?
Respectez la douleur d'une mère éperdue;
Malheureux étranger, n'offensez point sa vue.
Plaignez, si vous l'aimez, ses malheurs inouïs;
Un assassin cruel vient de tuer son fils.
Son fils Égisthe, ô dieux! le malheureux Égisthe!
Nul mortel en ces lieux n'ignore un sort si triste.
Hélas! s'il est ainsi, pourquoi me découvrir?
Au pied de ce tombeau je n'ai plus qu'à mourir.
SCÈNE XI.
ISMÉNIE, seule.480-aCe vieillard est sans doute un citoyen fidèle;
Il pleure, il ne craint point de marquer un vrai zèle;
<423>Il pleure, et tout le reste, esclave des tyrans,
Détourne loin de nous des yeux indifférents.
AIR.
Vils esclaves de la Fortune,
Mortels à ses ordres soumis,
Quand le destin nous importune,
Vous devenez nos ennemis.
SCÈNE XII.
MÉROPE, ISMÉNIE, EURYCLÈS, ÉGISTHE, enchaîné, GARDES, SACRIFICATEURS,
NARBAS.481-a
MÉROPE.Qu'on amène à mes yeux cette horrible victime.
Madame, le voici; qu'en avouant son crime,
Il vous révèle tout.
Monstre! qui t'a porté
A de si noirs forfaits, à tant de cruauté?
Les dieux me sont témoins, qui vengent le parjure,
Si ma bouche jamais a connu l'imposture.
Et quel est donc ce sang qu'a versé mon erreur?
Quel nouvel intérêt vous parle en sa faveur?
Quel intérêt? barbare!
Hélas! sur son visage
J'entrevois de la mort la douloureuse image.
Quel destin m'arrachait à mes tristes forêts?
Vieillard infortuné, quels seront vos regrets?
Mère trop malheureuse, et dont la voix si chère
M'avait prédit....
Barbare! il te reste une mère.
Je serais mère encor sans toi, sans ta fureur.
Tu m'as ravi mon fils.
Si tel est mon malheur,
Mon innocente erreur de droit sera punie.
Mais pour vous et pour lui j'aurais donné ma vie.
Connais-tu cette armure, ô barbare! ô cruel!
Que ta main lui ravit?
Elle est à moi.
O ciel!
Cette armure! comment? que dis-tu?
Je vous jure
Que mon père en mes mains a remis cette armure.
Quoi! ton père? en Elide? En quel trouble je suis!
Finissez, dieux cruels, le cours de mes ennuis.
Ton père, quel est-il? réponds.
C'est Polyclète;
Je vous l'ai déjà dit.
Interdite et muette,
Je souffre que ce monstre, aveugle en sa fureur,
Vienne ici, de sang-froid, me déchirer le cœur!
C'en est trop; secondez la rage qui me guide.
Qu'on traîne à ce tombeau ce monstre, ce perfide.
Mânes de mon cher fils, mes bras ensanglantés ....
Qu'allez-vous faire? ô dieux!
Qui m'appelle?
Arrêtez.
Hélas! il est perdu, si je nomme sa mère,
S'il est connu.
Meurs, traître!
Arrêtez.
O mon père!
Son père!
Hélas! que vois-je? où portez-vous vos pas?
Venez-vous être ici témoin de mon trépas?
AIR.
(Cavata senza ritornello.)
Adieu, cher père; un sort barbare
Pour jamais de vous me sépare.
Fuyez ce lieu d'horreur.
Vous, qui formâtes mon enfance,
Vous connaissez mon innocence;
Justifiez mon cœur.
Ah! madame, empêchez qu'on achève le crime.
Euryclès, écoutez, écartez la victime;
(à la Reine.)
Que je vous parle.
O ciel!
Vous me faites trembler.
J'allais venger mon fils.
Vous l'alliez immoler.
Égisthe ....
Eh bien, Égisthe ....
O reine infortunée!
Celui dont votre main tranchait la destinée,
C'est Égisthe.
Grands dieux! est-ce un songe trompeur?
Ce fils tant désiré, qui fait tout mon bonheur ....
Quoi! c'est vous? c'est mon fils? qu'il vienne, qu'il paraisse.
Redoutez, renfermez cette juste tendresse.
Malgré la voix du sang, feignez, dissimulez;
Le crime est sur le trône, on vous poursuit; tremblez.
SCÈNE XIII.
MÉROPE, EURYCLÈS, NARBAS, ISMÉNIE.484-a
EURYCLÈS.Ah! madame, le Roi commande qu'on saisisse ....
Qui?
Ce jeune étranger qu'on destine au supplice.
Ah, grands dieux! c'est mon fils. Que je tremble pour lui!
Courons à Polyphonte, implorons son appui;
Et dût sa politique en être encor jalouse,
Il faut qu'il serve Égisthe, alors qu'il vous épouse.
Quoi! Polyphonte, ô dieux! pourrait s'unir à vous?
Je l'ai vu tout couvert du sang de votre époux.
Ah, dieux!
J'ai vu ce monstre entouré de victimes,
Je l'ai vu contre vous accumuler les crimes.
Teint du sang de vos fils, mais des brigands vainqueur,
Assassin de son prince, il parut son vengeur.
Je suivis votre fils de retraite en retraite,
Et pris, pour me cacher, le nom de Polyclète;
Et lorsqu'en arrivant je l'arrache à vos coups,
Polyphonte est son maître, et devient votre époux!
Ah! tout mon sang se glace à ce récit horrible.
On vient; c'est Polyphonte.
O dieux! est-il possible?
(à Narbas.)
Va, dérobe surtout ta vue à sa fureur.
Hélas! si votre fils est cher à votre cœur,
Avec son assassin dissimulez, madame.
Renfermons ce secret dans le fond de notre âme.
SCÈNE XIV.
MÉROPE, POLYPHONTE, ÉROX, ISMÉNIE, SUITE DU ROI.486-a
POLYPHONTE.Le trône vous attend, et les autels sont prêts;
L'hymen qui va nous joindre unit nos intérêts.
Je vous avais remis cet assassin impie,
Lui, qui de votre fils a retranché la vie.
<428>Vous-même, disiez-vous, deviez percer son sein;
Mais, prête à le punir, vous changez de dessein.
Je vois que c'est à moi de hâter ses supplices.
Mais si ce meurtrier, seigneur, a des complices;
Si je pouvais par lui reconnaître le bras,
Le bras dont mon époux a reçu le trépas ....
Ceux dont la rage impie a massacré le père
Poursuivront à jamais et le fils, et la mère.
Si l'on pouvait ....
C'est là ce que je veux savoir;
Et déjà le coupable est mis en mon pouvoir.
Ah, barbare! ... A moi seule il fallait le remettre.
Ah! rendez-le-moi .... Vous me l'avez fait promettre.
(à part.)
O mon sang! ô mon fils! ...
Ce visage interdit
Pourrait de quelque ombrage alarmer mon esprit.
D'un déplaisir nouveau votre âme semble émue.
Qu'a donc dit ce vieillard que l'on cache à ma vue?
Ah! seigneur, de mon fils rendez-moi l'assassin.
Tout son sang, s'il le faut, va couler sous ma main.
AIR.
Oui, j'embrasse votre défense;
Et pour calmer votre douleur,
Tout ce que vous dit la vengeance
Se fait ressentir dans mon cœur.
Venez partager ma puissance,
Aux autels signez mon bonheur.
(Polyphonte part.)
<429>MÉROPE, lui dit lorsqu'il s'en va.Pardonnez .... Vous voyez une mère éperdue;
Les dieux m'ont tout ravi, les dieux m'ont confondue.
AIR.
O dieux! dans l'horreur qui me presse,
Daignez m'accorder vos secours.
Prenez pitié de ma faiblesse;
De mon fils prolongez les jours.
Que cet amour tendre de mère,
Toujours trop prompt à s'épancher,
Ne découvre point un mystère
Que je dois au tyran cacher.
FIN DU PREMIER ACTE.
<430>ACTE II.
SCÈNE I.
La scène représente une salle ouverte par une colonnade à travers de laquelle on voit un beau jardin.
POLYPHONTE. ÉROX.488-a
POLYPHONTE.A ses emportements, je croirais qu'à la fin
Elle a de son époux reconnu l'assassin.
Mais qu'importe sa haine? Il faut me satisfaire.
Cet hymen m'asservit et le fils, et la mère;
Et par ce nœud sacré, qui la met dans mes mains,
Je n'en fais qu'une esclave utile à mes desseins.
Tu viens d'interroger ce jeune misérable;
Crois-tu ....
Rien ne fléchit cette âme impénétrable.
J'en suis frappé, seigneur, et je n'attendais pas
Un courage aussi haut dans un rang aussi bas;
J'avouerai qu'en secret moi-même je l'admire.
Quel est-il, en un mot?
Ce que j'ose vous dire,
C'est qu'il n'est point sans doute un de ces assassins
Disposés en secret pour servir nos desseins.
Leur conducteur n'est plus; ma juste défiance
A su par son trépas rassurer ma prudence.
<431>Mais ce jeune inconnu m'inquiète et me déplaît.
Croirais-tu que son bras d'Égisthe m'eût défait?
Mérope dans les pleurs mourant désespérée
Est de votre bonheur une preuve assurée.
Quel que soit l'étranger, il faut hâter sa mort;
Le peuple aux malheureux donne toujours le tort.
Mais répondez : quel est ce vieillard téméraire?
Que voulait-il?
Seigneur, ce vieillard est le père
De ce jeune étranger près de Mérope admis;
Il venait implorer la grâce de son fils.
Ce vieillard me trahit, crois-moi, puisqu'il se cache.
Ce secret m'importune, il faut que je l'arrache;
Le meurtrier surtout excite mes soupçons.
Pourquoi, par quel caprice et par quelles raisons
La Reine, qui tantôt pressait tant son supplice,
N'ose-t-elle achever ce juste sacrifice?
Qu'importe son courroux, sa joie, ou sa pitié,
Seigneur, quand sous vos lois tout Messène a plié?
AIR.
A vos vœux les destins
Rendent un doux hommage;
Sous vos lois les humains
Rampent dans l'esclavage.
Écartez les chagrins
Et ce frivole ombrage;
Se peut-il qu'un nuage
Trouble vos jours sereins?
Mérope vient; qu'on mène ici cet étranger.
SCÈNE II.
POLYPHONTE, ÉROX, ÉGISTHE, EURYCLÈS, MÉROPE, ISMÉNIE, GARDES.490-a
MÉROPE.Remplissez vos serments, songez à me venger;
Qu'à mes mains, à moi seule on laisse la victime.
La voici devant vous; votre intérêt m'anime.
Vengez-vous, baignez-vous490-b au sang du criminel,
Et sur son corps sanglant je vous mène à l'autel.
Ah, dieux!
Tu vends mon sang à l'hymen de la Reine;
Ma vie est peu de chose, et je mourrai sans peine;
Je bénirai ses coups prêts à tomber sur moi,
Et je n'accuse ici qu'un tyran tel que toi.
Malheureux, oses-tu dans ta rage insolente ....
Ah! seigneur, excusez sa jeunesse imprudente;
Il ne sait pas encore ....
O ciel! que faites-vous?
Quoi! vos regards sur lui se tournent sans courroux?
Vous tremblez à sa vue, et vos yeux s'attendrissent?
Vous voulez me cacher les pleurs qui les remplissent?
Je ne les cache point, ils paraissent assez;
La cause en est trop juste, et vous la connaissez.
Pour en tarir la source il est temps qu'il expire.
Qu'on l'immole, soldats.
Cruel! qu'osez-vous dire?
Quoi! de pitié pour moi tous ses sens sont saisis!
Qu'il meure.
Il est ....
Frappez.
Barbare! il est mon fils.
Moi! votre fils?
Tu l'es; et ce ciel que j'atteste,
Ce ciel qui t'a formé dans un sein si funeste,
Et qui trop tard, hélas! a dessillé mes yeux,
Te remet dans mes bras pour nous perdre tous deux.
Quel miracle, grands dieux, que je ne puis comprendre!
Une telle imposture a de quoi me surprendre.
Vous, sa mère? qui? vous, qui demandiez sa mort?
Va, je me crois son fils; les preuves de mon sort.
C'est de son désespoir les cruelles alarmes,
(Qui ne reconnaît point une mère à ses larmes?)
Mes sentiments, mon cœur par la gloire animé.
Ce bras qui t'eût puni, s'il n'était désarmé.
Ta rage auparavant sera seule punie.
C'est trop.
Commencez donc par m'arracher la vie.
Ayez pitié des pleurs dont mes yeux sont noyés.
Que vous faut-il de plus? Mérope est à vos pieds.
A cet effort affreux, jugez si je suis mère.
Cruel! vous qui vouliez lui tenir lieu de père.
Qui deviez protéger ses jours infortunés,
Le voilà devant vous, et vous l'assassinez!
DUETTO.
ÉGISTHE.Cessez de ce tyran
De fléchir la colère.
Par ce cruel tourment
Juge si je suis mère.
Si Cresphonte est mon père,
Ayez le cœur plus grand.
Une tête si chère
Fait oublier mon rang.
TOUS DEUX.
Jour affreux que j'abhorre!
Dieux! je respire encore!
Ah! de vos souverains
Voici le dernier reste,
Et dans ce jour funeste
Son sort est dans vos mains.
Si je suis fils d'Hercule,
Je brave le malheur.
<435>Depuis longtemps je brûle
De signaler mon cœur.
Dieu, prends notre défense,
Protége l'innocence.
Eh bien, vous le voulez? L'inconnu que je vois
Paraît digne à mes yeux d'être du sang des rois.
Mais une vérité d'une telle importance
N'est pas de ces secrets qu'on croit sans évidence.
Je le prends sous ma garde, il m'est déjà remis;
Et s'il est né de vous, je l'adopte pour fils.
Vous, m'adopter?
Hélas!
Réglez sa destinée.
Vous achetiez sa mort avec mon hymenée;
La vengeance à ce point a pu vous captiver;
L'amour fera-t-il moins, quand il faut le sauver?
Quoi, barbare!
Madame, il y va de sa vie.
Votre âme en sa faveur serait-elle endurcie?
AIR.
Pensez qu'un mot de votre bouche
Pour jamais décide son sort;
Pensez qu'un seul refus farouche
Prononce l'arrêt de sa mort.
Un mot ou le sauve, ou l'opprime;
Son être en vos mains est commis.
Ou bien je l'adopte pour fils,
Madame, ou bien c'est ma victime.
SCÈNE III.
MÉROPE, seule.494-aCruels, vous l'enlevez; en vain je vous implore.
Ne l'ai-je donc revu que pour le perdre encore?
Pourquoi m'exauciez-vous, ô dieu trop imploré?
Pourquoi rendre à mes vœux ce fils tant désiré?
Vous l'avez arraché d'une terre étrangère,
Victime réservée au bourreau de son père.
Ah! privez-moi de lui, cachez ses pas errants
Dans le fond des déserts, à l'abri des tyrans.
SCÈNE IV.
MÉROPE, NARBAS, EURYCLÈS.495-a
MÉROPE.Sais-tu l'excès d'horreur où je me vois livrée?
Je sais que de mon roi la perte est assurée,
Que déjà dans les fers Égisthe est retenu,
Qu'on observe mes pas.
C'est moi qui l'ai perdu.
Vous!
J'ai tout révélé. Mais, Narbas, quelle mère,
Prête à perdre son fils, peut le voir et se taire?
J'ai parlé, c'en est fait; et je dois désormais
Réparer ma faiblesse à force de forfaits.
AIR.
Puissent les dieux vengeurs de l'injustice
D'un vil tyran punir tous les forfaits!
<437>Puissent les dieux, confondant ses projets,
Changer pour lui son trône en précipice!
SCÈNE V.
MÉROPE, NARBAS, EURYCLÈS, ISMÉNIE.496-a
ISMÉNIE.Voici le triste jour, voici l'heure, madame,
Ou'il vous faut rassembler les forces de votre âme.
Par des corruptions le grand prêtre inspiré
A fait parler le dieu dans son temple adoré.
Au nom de vos aïeux et du dieu qu'il atteste,
Il vient de déclarer cette union funeste.
Polyphonte, dit-il, a reçu vos serments;
Messène en est témoin, les dieux en sont garants.
Le peuple a répondu par des cris de joie.
Il insulte la Reine à la douleur en proie.
Quel crime! quelle horreur! Je tremble et j'en frémis.
Mais c'en est un plus grand de perdre votre fils.
(Con accompagnamento.)
Eh bien, le désespoir m'a rendu mon courage.
Courons tous vers le temple où m'attend mon outrage.
Montrons mon fils au peuple, et plaçons-le à leurs yeux,
Entre l'autel et moi, sous la garde des dieux.
Il est né de leur sang, ils prendront sa défense;
Ils ont assez longtemps trahi son innocence.
De son lâche assassin je peindrai les fureurs;
L'horreur et la vengeance empliront tous les cœurs.
Tyrans, craignez les cris et les pleurs d'une mère.
On vient. Ah! je frissonne, ah! je me désespère.
On m'appelle, et mon fils est au bord du cercueil;
Le tyran peut encor l'y plonger d'un coup d'œil.
(Aux sacrificateurs qui entrent.)
Ministres rigoureux du monstre qui m'opprime,
Vous venez à l'autel entraîner la victime.
<438>O vengeance! ô tendresse! ô nature! ô devoir!
Qu'allez-vous ordonner d'un cœur au désespoir?
AIR.
(Cavata.)
Un monstre audacieux
Avec rigueur m'entraîne.
O ciel! voyez ma peine,
Et dalgnez, justes dieux,
Troubler d'une âme vaine
Les desseins odieux.
FIN DU SECOND ACTE.
<439>ACTE III.
SCÈNE I.
La scène représente une chambre du palais royal.
ÉGISTHE, NARBAS, EURYCLÈS.498-a
NARBAS.Le tyran nous retient au palais de la reine,
Et notre destinée est encore incertaine.
Je tremble pour vous seul. Ah, mon prince! ah, mon fils!
Souffrez qu'un nom si doux me soit encor permis.
Ah! vivez. D'un tyran désarmez la colère;
Conservez une tête, hélas! si nécessaire,
Si longtemps menacée, et qui m'a tant coûté.
Songez que, pour vous seul abaissant sa fierté,
Mérope de ses pleurs daigne arroser encore
Les parricides mains d'un tyran qu'elle abhorre.
D'un long étonnement à peine revenu,
Je crois renaître ici dans un monde inconnu.
Un nouveau sang m'anime, un nouveau jour m'éclaire.
Qui? moi, né de Mérope! et Cresphonte est mon père!
Son assassin triomphe; il commande, et je sers!
Je suis le sang d'Hercule, et je suis dans les fers!
Plût aux dieux qu'avec moi le petit-fils d'Alcide
Fût encore inconnu dans les champs de l'Élide!
<440>Eh quoi! tous les malheurs aux humains réservés,
Faut-il, si jeune encor, les avoir éprouvés?
Le ravage, l'exil, la mort, l'ignominie,
Dès ma première aurore ont assiégé ma vie.
Je vous ai cru mon père, et devais le juger;
Je suis fils de Cresphonte, et ne puis le venger.
Je retrouve une mère, un tyran me l'arrache;
Un détestable hymen à ce monstre l'attache.
Je maudis le secours que vous m'avez donné.
Ah, mon père! ah! pourquoi d'une mère égarée
Reteniez-vous tantôt la main désespérée?
Mes malheurs finissaient, mon sort était rempli.
Ah! vous êtes perdu; le tyran vient ici.
SCÈNE II.
POLYPHONTE, ÉGISTHE, NARBAS, EURYCLÈS, GARDES.499-a
POLYPHONTE, aux gardes qui s'écartent vers le fond du théâtre.Retirez-vous; et toi, dont l'aveugle jeunesse
Inspire une pitié qu'on doit à la faiblesse,
Ton roi veut bien encor, pour la dernière fois,
Permettre à tes destins de changer à ton choix.
Élevé loin des cours et sans expérience,
Laisse-moi gouverner ta farouche imprudence.
Si le hasard heureux t'a fait naître d'un roi,
Rends-toi digne de l'être, en servant près de moi.
Une reine en ces lieux te donne un grand exemple;
Elle a subi mes lois, et marche vers le temple.
Suis ses pas et les miens, viens au pied de l'autel
Me jurer à genoux un hommage éternel.
Un refus te perdra.
Comment puis-je répondre?
Tes discours, je l'avoue, ont de quoi me confondre.
Vovons, si tu me rends ce glaive que tu crains.
Si c'est à Polyphonte à régler mes destins.
Eh bien, cette bonté qui s'indigne et se lasse
Te donne un seul moment pour obtenir ta grâce.
Je t'attends aux autels, et tu peux y venir
Ou trouver le trépas, ou jurer d'obéir.
Gardes, auprès de moi vous pouvez l'introduire;
Qu'aucun autre ne sorte et n'ose le conduire.
(Il chante à Narbas et Euryclès.)
AIR.
(Cavata.)
Tremble, téméraire vieillard,
Du dépôt que je te confie.
Son caprice, son moindre écart
Dicte la perte de sa vie.
Si cet imposteur est ton fils,
Règle ses pas sur ta prudence.
D'un mot de désobéissance
Sa mort sera le juste prix.
SCÈNE III.
ÉGISTHE, NARBAS, EURYCLÈS.500-a
ÉGISTHE.Je ne prends de conseil que du sang qui m'anime.
Hercule, instruis mon bras à me venger du crime;
Éclaire mon esprit du sein des immortels.
Polyphonte m'appelle aux pieds de tes autels,
Et j'y cours.
Ah! mon prince, êtes-vous las de vivre?
Dans ce péril du moins si nous pouvions vous suivre!
Le sort en est jeté .... Ciel! qu'est-ce que je voi?
Mérope!
SCÈNE IV.
MÉROPE, ÉGISTHE, NARBAS, EURYCLÈS, SUITE.501-a
MÉROPE.Le tyran m'ose envoyer vers toi.
Cher objet des terreurs dont mon âme est atteinte,
Toi pour qui je connais et la honte, et la crainte,
Fils des rois et des dieux, mon fils, il faut servir;
Pour savoir se venger il faut savoir souffrir.
Je sens que ma faiblesse et t'indigne, et t'outrage;
Je t'en aime encor plus, et je crains davantage.
Mon fils ....
Osez me suivre.
Arrête. Que fais-tu?
Dieux! je me plains à vous de son trop de vertu.
Auriez-vous des amis dans ce temple funeste?
J'en eus quand j'étais reine, et le peu qui m'en reste
Sous un joug étranger baisse un front abattu;
Le poids de mes malheurs accable leur vertu.
Polyphonte est haï, mais c'est lui qu'on couronne;
On m'aime, et l'on me fuit.
Quoi! tout vous abandonne?
Ce monstre est à l'autel?
Il m'attend.
Ses soldats
A cet autel horrible accompagnent ses pas?
De ses cruels soldats la porte est entourée;
De ces lieux à toi seul je puis ouvrir l'entrée.
Seul, je vous y suivrai; j'y trouverai des dieux
Qui punissent le meurtre, et qui sont mes aïeux.
Ils t'ont trahi quinze ans.
Ils m'éprouvaient sans doute.
Ah! quel est ton dessein?
Marchons, quoi qu'il en coûte.
Adieu, tristes amis; vous connaîtrez du moins
Que le fils de Mérope a mérité vos soins.
(en embrassant Narbas.)
Tu ne rougiras point, crois-moi, de ton ouvrage;
Au sang qui m'a formé tu rendras témoignage.
AIR.
Il semble que le ciel
En ce moment le guide.
Ce n'est plus un mortel,
Mais c'est le fils d'Alcide.
O mon fils! mon cher fils!
Je te conduis au temple.
Tu rends par ton exemple
La force à mes esprits.
SCÈNE V.
NARBAS, EURYCLÈS.503-a
NARBAS.Que va-t-il faire? Hélas! tous mes soins sont trahis;
Les habiles tyrans ne sont jamais punis.
J'espérais que du temps la main tardive et sûre
Justifierait les dieux en vengeant leur injure.
Les gardes ont suivi le tyran qui nous perd;
Pour sortir de ces lieux les chemins sont ouverts.
Qu'importe du tyran la sévère défense?
Quand on a tout perdu, quand on perd l'espérance,
De vains ménagements paraissent superflus,
Contralres à nos devoirs, contraires à nos vertus.
Si Mérope n'est plus, qu'importe-t-il de vivre?
Allons. D'un pas égal que ne puis-je vous suivre!
O dieux! rendez la force à ces bras énervés,
Pour le sang de mes rois autrefois éprouvés.
AIR.
Entre la crainte et l'espérance
Mes faibles esprits sont flottants;
La trahison, la violence,
M'offrent des objets effrayants.
Mais ce qui rassure mes sens,
C'est cette ferme confiance
Qu'à la fin les dieux tout-puissants
Voudront protéger l'innocence.
SCÈNE VI.
Le théâtre représente un temple de quatre scènes seulement. Le rideau représente l'autel.
MÉROPE, POLYPHONTE, ISMÉNIE, ÉROX, ÉGISTHE,
LES PRÊTRES, LE PEUPLE, LES GARDES. Mérope et Polyphonte sont près de l'autel.504-a
POLYPHONTE, à Mérope.Madame, accomplissez à présent vos promesses;
Ne montrez point ici des indignes faiblesses.
Jurez-moi dans ces lieux par des vœux solennels,
A la face des dieux, près de ces saints autels,
Que votre cœur, toujours rempli d'obéissance,
Veut partager mes vœux, mon trône et ma puissance.
Ah, grands dieux! quelle horreur!
Madame, il n'est plus temps.
Pensez à votre fils.
Dieux, qui m'êtes présents,
Secondez mes desseins, gouvernez mon courage;
Il est temps de venger et le meurtre et l'outrage.
(Il s'élance sur Polyphonte, et prend de l'autel la hache, dont il frappe Polyphonte.)
Tiens, voici ton hymen, ces coups en sont garants.
(Il pousse Polyphonte hors du théâtre, dans les coulisses.)
POLYPHONTE, en fuyant.Soldats! à moi, soldats!
Je sens troubler mes sens.
C'est mon fils, arrêtez, cessez, troupe inhumaine.
C'est mon fils; déchirez sa mère et votre reine,
<446>Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté.
Le trépas du tyran vous rend la liberté.
CHŒUR.
Arbitre des humains, divine Providence,
Achève ton ouvrage, et soutiens l'innocence.
(Ces vers ne doivent point être répétés par le chœur. La symphonie doit poursuivre. Tout le monde se sauve du théâtre. En attendant, c'est une symphonie bruyante.)
SCÈNE VII.
Le théâtre change, et représente une grande place jusqu'au fond du théâtre. Dans le lointain on voit les tours de la ville, des tours et toute la cité.
TOUS LES ACTEURS, hors POLYPHONTE, qui n'est plus. LE PEUPLE.505-a
(Il faut que tout soit très-rempli. Le corps de Polyphonte se voit de loin, couvert d'une robe.)
MÉROPE.Guerriers, prêtres, amis, peuples, écoutez-moi :
Je vous le jure encore, Égisthe est votre roi;
Il a puni le crime, il a vengé son père.
Celui que vous voyez traîné sur la poussière,
C'est un monstre, ennemi des dieux et des humains;
Dans le sein de Cresphonte il enfonça ses mains.
(Elle court vers Égisthe, qui paraît, la hache à la main.)
Celui que vous voyez, vainqueur de Polyphonte,
C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresphonte;
C'est le mien, c'est le seul qui reste à ma douleur.
Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur?
Regardez ce vieillard; c'est lui dont la prudence
Des mains de Polyphonte arracha son enfance.
Les dieux ont fait le reste.
Oui, j'atteste les dieux
Que c'est là votre roi, qui combattit pour eux.
Reconnaissez mon fils à son âme intrépide.
<447>Eh! quel autre jamais qu'un descendant d'Alcide,
Nourri dans la misère, à peine en son printemps,
Eût pu venger Messène et punir les tyrans?
Amis, pouvez-vous bien méconnaître une mère?
Un fils qu'elle défend? un fils qui venge un père?
Celui qui nous vengea d'un tyran abhorré
Comme roi, dans nos cœurs, est par nous adoré.
O roi! venez jouir du prix de la victoire;
Ce prix est notre amour, il vaut mieux que la gloire.
Elle n'est point à moi; cette gloire est aux dieux :
Ainsi que le bonheur, la vertu nous vient d'eux.
AIR.
O vous, mon cher Narbas!
Soyez toujours mon père;
Vous, chère et tendre mère,
Partagez mes États.
CHŒUR.
Quelle félicité commune
De vivre sous les justes lois
D'un prince né dans l'infortune!
C'est l'école des meilleurs rois.
Le juste châtiment du crime
Est l'effet du courroux des dieux;
Le trône, ô prince magnanime!
N'est point un asile contre eux.
(Ballet. Le peuple se réjouit.)
FIN.
467-a Voyez Mérope, tragédie de Voltaire, acte I, scène IV.
469-a L. c. acte II, scène I.
471-a L. c. acte II, scène II.
474-a L. c. acte II, scène III.
475-a L. c. acte II, scène IV.
476-a L. c. acte II, scène V.
477-a L. c. acte II, scène VI.
478-a L. c. acte II, scène VII.
479-a L. c. acte III, scène I.
479-b L. c. acte III, scène II.
480-a L. c. acte III, scène III.
481-a L. c. acte III, scène IV.
484-a L. c. acte III, scène V.
486-a L. c. acte III, scène VI.
488-a L. c. acte IV, scène I.
490-a L. c. acte IV, scène II.
490-b Nous avons ajouté, d'après Voltaire, les mots baignez-vous, omis dans le manuscrit du Roi.
494-a L. c. acte IV, scène III.
495-a L. c. acte IV, scène IV.
496-a L. c. acte IV, scène V.
498-a L. c. acte V, scène I.
499-a L. c. acte V, scène II.
500-a L. c. acte V, scène III.
501-a L. c. acte V, scène IV.
503-a L. c. acte V, scène V.
504-a L. c. acte V, scène VI.
505-a L. c. acte V, scène VII.
506-a L. c. acte V, scène VIII.