<107>composé de bon et de mauvais esprit; les grands génies surtout forment des tableaux où il y a de beaux traits de lumière, mais aussi des ombres obscures; ce sont des mélanges de grandeur et de petitesse, des contradictions étonnantes, et des contrastes si singuliers, que Biaise Pascal se persuadait qu'ils avaient deux âmes. Si nous descendons aux artistes, il s'en trouvera peu, entre ceux qui excellent, qui n'aient la démence de s'abandonner à des caprices qui tiennent souvent de l'extravagance et de la folie; leur art absorbe toute leur application, et il ne leur en reste plus pour réformer leurs mœurs et veiller sur leurs défauts. Matthieu Reinhart était bien différent de ceux dont je vous entretiens : sa première étude était celle de lui-même; il commença par être citoyen, par être honnête homme, et ensuite il cultiva son talent. Ceux qui sont dans le grand monde se figurent que ce n'est qu'à la cour et dans le tumulte des capitales où la jeunesse est exposée à des séductions dangereuses, attirée par l'occasion et encouragée par l'exemple. Mais si ceux qui s'y trouvent sont vivement attaqués, ils ont aussi des armes de bonne trempe qui les défendent : le frein de l'éducation les retient, l'œil de leurs parents les intimide, et le conseil de leurs amis les arrête. Il n'en est pas de même du fils d'un pauvre ouvrier, dont l'éducation ne saurait être conduite avec le soin que l'on prend pour élever l'espérance des familles opulentes; il est même, j'ose le dire, plus exposé que ceux qui se trouvent dans le grand monde. Car, quoique le vice soit le même, il se revêt, parmi la noblesse, d'un voile de décence, et ne se montre jamais qu'en secret; il cherche des asiles inviolables pour paraître, et se dérobe au public; au lieu que chez le peuple règne tout le débordement d'une licence effrénée, la débauche y est poussée à l'excès le plus scandaleux, les passions s'abandonnent à leur violence, quelque chose de brutal et de féroce règne parmi des plaisirs qui dégénèrent en crapule, et il faut un naturel exquis pour résister à ce torrent de l'exemple, qui entraîne et perd tous les jours tant de malheureuses victimes. Matthieu Reinhart avait évité ce dangereux écueil; on ne le vit jamais, pas même dans sa première aurore, fréquenter ces maisons abominables où la joie ressemble à la fureur, où la soif insatiable d'acquérir attire des corsaires qui