<143>que d'illustres fourbes qui ont eu la réputation de grands politiques, de célèbres brigands qui ont usurpé le titre de héros, ont perpétué leurs noms dans la mémoire des hommes; tandis que de véritables bienfaiteurs de l'humanité, hommes qui, dans le silence, se rendaient utiles à leur patrie, soit en inventant des arts, soit en les encourageant, ont été ensevelis dans un honteux oubli. Soyons donc sur nos gardes, et ne confondons point ce qui est grand avec ce qui est louable, et des objets imposants avec des choses utiles.
Le seul point de vue dans lequel un citoyen doive examiner les opérations des politiques est sans doute celui de leur rapport avec le bien de l'humanité, qui consiste dans la sûreté publique, dans la liberté et dans la paix. En partant de ce principe, tous ces noms de puissance, de grandeur, de force, ne me frappent plus; je méprise l'artifice et la subtilité des négociateurs pour rassembler des bouts de l'Europe ces grandes armées qui vous charment, et je ne m'attache qu'à creuser dans l'esprit de ces politiques pour y découvrir leurs vues et le fond de leur système.
Cette alliance me paraît une conspiration des plus forts pour accabler les plus faibles; c'est une ligue d'ambitieux qui veulent envahir les biens d'ennemis qu'ils croient ne pouvoir leur résister, des géants qui se battent contre des nains, des souverains qui partagent d'avance la dépouille de ceux qu'ils veulent vaincre, pour s'attacher plus étroitement leurs alliés par l'appât de l'intérêt. Si nous séparons de cette alliance les noms respectables qui la consacrent, si nous attribuons un moment les manœuvres de politique qui vous paraissent sublimes, à des particuliers, quel nom leur donnerons-nous? Si au lieu de cette multitude de guerriers et de héros qui couvrent la face de la terre, nous y substituions un ramas d'hommes obscurs et sans aveu, comment qualifierions-nous leurs démarches? Ne me dites point que les souverains, n'ayant aucun juge au-dessus d'eux, ont le droit de décider leurs différends par l'épée; je le sais, et personne ne le leur conteste. S'ensuit-il que dix doivent se liguer contre deux pour les anéantir? et la politique doit-elle se dispenser entièrement des idées d'équité, de justice et de probité pratiquées par toutes les nations? Je vous dirai encore plus : que si cette grande