<144>alliance réussit à écraser ses ennemis, cela ne lui fera aucun honneur, car la gloire n'est le prix que des obstacles vaincus et des plus difficiles travaux. L'histoire ne nous fournit que l'exemple de la ligue de Cambrai, faite pour déchirer la république de Venise, que nous puissions comparer avec la grande alliance qui, de nos jours, se propose d'accabler la Prusse. Dans l'antiquité, nous voyons que les Romains parvinrent à subjuguer les nations, parce que ces peuples, la plupart barbares, n'eurent jamais l'adresse de se liguer ensemble pour résister à l'ennemi commun. Depuis que le colosse de l'empire romain fut détruit, il se forma de ses débris de grands royaumes que de puissants vassaux affaiblirent; les princes, sans autorité, luttaient sans cesse contre leurs sujets, et, trop retenus par des dissensions intestines, ils ne purent se rendre redoutables à leurs voisins. Après bien des siècles, l'autorité souveraine s'établit et jeta de profondes racines; nous fixons l'époque du pouvoir monarchique aux règnes de François Ier et de Charles-Quint. Alors tout changea; l'ambition des rois, n'ayant plus de frein qui l'arrêtât, s'exerça sur tout ce qui lui parut un objet de cupidité et d'agrandissement. Henri VIII, roi d'Angleterre, maintint par sa conduite habile l'équilibre entre la fortune de Charles-Quint et celle de François Ier, sans quoi le plus heureux ou le plus hardi des deux aurait bouleversé l'Europe. Depuis, cette balance du pouvoir devint l'objet principal de la politique des princes, et les faibles trouvèrent une ressource contre l'oppression des puissants. L'histoire moderne nous en fournit mille exemples : là, ce sont les Français qui assistent la ligue protestante d'Allemagne pour empêcher les Empereurs de rendre leur pouvoir despotique; ici, c'est, ou les rois de Danemark, ou ceux de Suède, qui viennent au secours de la liberté germanique; tantôt c'est toute l'Europe qui accourt à l'aide de la maison d'Autriche, dont Soliman II faisait assiéger la capitale; dans d'autres occasions, les Empereurs, l'Angleterre, la Hollande et presque toute l'Europe se réunissent pour former un contre-poids capable de tenir en équilibre la puissance de Louis XIV, qui menaçait de tout envahir. C'est à cette sage politique que nous devons la durée des divers gouvernements européens; cette digue s'est constamment opposée aux débordements de l'ambition.