<157>on dit qu'il est ministre de paix; comment peut-il donc armer les mains des enragés qui s'entre-font la guerre? - Très-bien, me dit le Portugais, parce que les véritables ennemis de ce prince hérétique lui ont persuadé qu'ils détruiraient l'hérésie, et qu'ils ramèneraient tous ces peuples égarés dans le giron de l'Église; et d'ailleurs, comme il doit aux ennemis de l'hérétique son élévation au pontificat, il faut qu'il leur en témoigne sa reconnaissance. Pour cet effet, il bénit cette épée, et de plus il a prêché une espèce de croisade contre l'hérétique, et obligé tous les bonzes qui ont quelque relation avec cet ennemi, qu'on appelle empereur, à lui payer un tribut qu'on ne lève jamais que lorsque l'on fait la guerre aux Turcs.

En même temps je vis que le lama, après avoir marmotté tout bas quelques paroles, et fait quelques signes hiéroglyphiques auxquels je ne pus rien comprendre, prit un goupillon qu'il trempa dans un bassin d'eau, puis en aspergea le bonnet et l'épée. Qu'est-ce-ci? dis-je. - C'est de l'eau bénite, dit le Portugais; c'est de l'eau mêlée d'un peu de sel et de sainte huile; depuis que ce bonnet et cette épée en ont été humectés, ils en acquièrent tout leur mérite, et rendront le général qui les recevra sage, heureux et victorieux. - Ah! que n'avons-nous eu de ces bonnets et de ces épées, m'écriai-je, lorsque les Tar-tares nous conquirent! Ce général va donc tout subjuguer? - Il s'en flatte bien, dit l'autre. - Mais pourquoi se fait cette guerre? ajoutai-je. - Pour qu'une puissance assez voisine, repartit-il, du Portugal puisse prendre un poisson qu'on nomme merluche en Amérique, on fait la guerre à un prince du Nord. - Mais cela est incompréhensible, lui dis-je. - La liaison de cette affaire serait trop longue à vous expliquer, repartit-il; mais ne savez-vous pas que, lorsque l'on a des maux de tête, on se fait saigner du pied? - Et la tête et les pieds, qu'ont-ils à faire avec la politique? Ne vous moquez pas de moi parce que je suis Chinois.

Pendant que nous raisonnions, le grand lama s'était retiré. Nous nous promenâmes encore dans le temple pour en examiner les beautés; c'est sans contredit le plus beau monument de l'industrie humaine. Tandis que le Portugais m'en faisait admirer tous les détails, un bonze de sa connaissance s'approcha de lui,